Du Fond des Prisons de Zinovie

Dialogue Maïeutique


Il y a quatre douzains dans cette chanson, dit Marco Valdo M.I., et je m’en vais te les présenter l’un après l’autre.

C’est parfait, dit Lucien l’âne ; j’aime mieux ainsi que dans le désordre.

Donc, reprend Marco Valdo M.I., je commence par le premier où le Trouvère raconte l’histoire d’une jeune femme, une artiste, une dessinatrice, une peintre qui était une de ces citoyennes de Zinovie qui avaient pris le pli de dire la vérité sur la conduite du guide et du Gouvernement et pour ce faire, diffusaient des informations qu’elles cherchaient sur toutes les sources possibles, principalement via internet. La grande partie de ces informations concernaient la guerre que la Zinovie faisait au pays voisin afin de l’envahir et de le (re)conquérir, malgré le fait qu’elle avait des années avant – il y a quelque trente ans – amorcé, réalisé et signé la dissolution de l’ancien empire et dans ce cadre, reconnu et garanti l’indépendance et les frontières des pays voisins – anciennement sous sa domination.

Voilà une excellente démarche, dit Lucien l’âne.

Oui, certes, répond Marco Valdo M.I., mais pas du tout aux yeux du Guide et de ses sbires. Cette artiste avait mis des petits papiers dans les rayons du supermarché du coin et une vieille retraitée les avait trouvés et s’était empressée d’aller tout rapporter à la police et se disant outrée, elle dénonça la jeune artiste. Ça n’a pas traîné, la peintre a valsé en prison. Elle y subit de mauvais traitements et après deux ans, grâce à un échange avec un pays étranger, elle a pu sortir et s’exiler. De son exil, elle a donné de ses nouvelles au Trouvère qui est un de ses amis, comme tu le sais, resté en Zinovie.

« Artiste, elle fait des dessins
Très colorés, même en prison :
Un séjour d’une horreur sans fin.
L’artiste prisonnière a failli crever. »

Fort bien, dit Lucien l’âne, quid de la suite ?

Dans le deuxième et le troisième douzains, explique Marco Valdo M.I., c’est le Revenant qui prend la parole pour faire part de son indignation vis-à-vis du comportement des gens qui soutiennent le Guide et sa bande et approuvent sa guerre de conquête impériale.

« Sous l’égide du Patriarche, tous ces gens
Ovationnent le Guide, le Gouvernement,
La Guerre : c’est proprement hallucinant. »

Cependant, il ne s’arrête pas en si bon chemin et porte son dégoût et son accusation un peu plus loin, un peu plus dans la profondeur historique de cette soumission quasiment servile :

« Sans rechigner, depuis plus de cent ans,
Passivement, ce peuple approuve tout.
Il s’incline, il rentre la tête dans le cou,
Plie le genou, prie Dieu... »

Voilà qui éclaire certaine étrange évolution de la Zinovie, dit Lucien l’âne et son apathie devant la honteuse guerre que lui impose le Guide.

Ensuite, dit Marco Valdo M.I., le Revenant expose deux trois pensées à propos de la guerre :

« Pour faire la guerre, il faut aller au combat ;
Pour faire la paix, il suffit de rentrer chez soi. »

Ce sont des évidences, dit Lucien l’âne.

Bien sûr, répond Marco Valdo M.I., mais s’il les prononce, c’est qu’il sait que la plupart des gens font tout pour les oublier. C’est ce qu’il leur reproche, d’ailleurs. Il montre ensuite – en parlant des sacs en plastique qui servent à ramener les cadavres – que cette guerre était de longtemps préméditée et qu’elle était susceptible de faire de très nombreux morts. Autrement dit, ces morts prévus sont voulus et la guerre durera longtemps.

« Les sacs en plastique ?
On en a des stocks en prévision,
D’avance, on en a préparé des millions :
Un mort, un sac, c’est statistique.
Ce sont les nécessités logistiques,
Logiques, objectives, mathématiques… »

Comme quoi, conclut Lucien l’âne, cette guerre n’est pas un hasard ; elle a même été fort bien préparée ; au moins pur les sacs mortuaires, car on a déjà vu qu’il y a des encombrements dans les cimetières de Zinovie.

Je suppose, Lucien l’âne mon ami, que tu te souviens fort bien de cet « incorrigible historien » dont parlait la canzone de l’autre jour. Cette fois, c’est de lui que parle le dernier douzain et du procès où il vient d’être condamné à seize ans de prison. Vu son âge et son état de santé, je pense qu’il n’en sortira pas vivant. Mais lui, il n’en a cure :

« Il garde sa dignité et son moral :
Jusque dans le tribunal,
Il réclame en homme libre
Une Zinovie libre. »

Tant qu’il y aura des hommes de cette trempe en Zinovie, dit Lucien l’âne, on peut penser qu’elle arrivera à se sortir des griffes de ses oppresseurs. C’est la bonne voie, cette voie de la dignité et de la liberté ; c’est même la seule possible. Quant à nous, tissons encore et toujours le linceul de ce vieux monde ahanant, transpirant, suant, se démenant et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane