L’Avenir pieux

Dialogue Maïeutique



Jusqu’ici, en Zinovie, dit Lucien l’âne, j’avais souvent entendu parler de l’avenir radieux. Tous les Guides l’annonçaient comme d’autres en d’autres temps annonçaient la fin du monde, la résurrection, le Jugement dernier et le Paradis.

Cette fois, Lucien l’âne mon ami, le Guide redevenu religieux – autrement dit, ayant compris tous les avantages qu’il y avait à faire alliance avec les tenants de la religion – s’empresse de montrer tous les signes de la piosité. À ses yeux, l’avenir de l’empire devra être religieux, car étant religieux, il vise l’éternité. Une religion d’empire pour un empire pieux, ça soude et le Guide lui-même, trônant au sommet.

Oh, dit Lucien l’âne, on a déjà vu ça souvent dans l’Histoire et même, si je ne me trompe, dans l’histoire de la Zinovie. Quand on est empereur, certes on est un demi-Dieu, mais il vaut mieux avoir la religion et les religieux avec soi. On double l’appareil d’État ; on s’assure le contrôle du pouvoir manifeste et du pouvoir caché.
Et puis, il est toujours bon de pouvoir s’écrier « Dieu avec nous ». Et puis, dis-moi, qu’est-ce que c’est que cette piosité ?

En effet, Lucien l’âne mon ami, je ne peux que confirmer ce que tu en dis. Maintenant, je m’en vais te préciser ce qu’il y a dans la canzone, selon l’habitude que tu m’as au fil du temps quasiment imposée. Mais tout d’abord, pour ce qui est de la piosité, voici de quoi il s’agit. La piosité est une manière d’être pieux, c’est-à-dire croyant et respectueux de ce à quoi on croit, en l’occurrence, généralement, un ou plusieurs Dieux, une religion ou une autre. Habituellement, en effet, on use pour ce dire du mot : piété. Alors, quelle est la nuance ici ? Eh bien, c’est qu’il s’agit d’une sorte de piété, un ersatz de piété, la façon de se montrer pieux de quelqu’un qui ne l’est pas vraiment. C’est une tartuferie. Vois ce qu’en disait Balzac : « L'hypocrisie est, chez une nation, le dernier degré du vice. C'est donc faire acte de citoyen que de s'opposer à cette tartuferie sous laquelle on couvre ses débordements. » Mais passons.

Oui, dit Lucien l’âne, j’aimerais vraiment savoir ce qui est raconté dans la canzone.

Donc, dit Marco Valdo M.I., on y va douzain par douzain. Le premier – c’est le Revenant qui parle – raconte ce qu’il advient des savants au pays du Guide. On les met au pinacle quand on veut élever les louanges à la nation, mais on les élimine bien vite, car ils en savent décidément trop. Pour ce faire, on les accuse de trahison et hop, au trou.



Le deuxième douzain évoque les propos d’un écrivain, réticent à vivre sous la houlette du Guide et critique à son égard, qui a dû fuir à l’étranger. Cet écrivain dit les millions de persécutés et la tranquillité innocente de ceux qui se font au régime et acceptent sans rechigner ses errances, même les plus criminelles.



Ah, dit Lucien l’âne, cet « encore » final laisse entendre bien des choses. Il pose en creux la question : «  Mais jusqu’à quand ? » ; autrement dit, souriront-ils encore demain quand le régime les écrasera à leur tour ou quand il s’effondrera emportant le Guide et son empire.

En attendant, reprend Marco Valdo M.I., le troisième douzain est une voix de journaliste, un peu poète, aux accents baudelairiens, lui aussi contraint à l’exil pour sauver sa peau, qui décrit le quotidien présent de la Zinovie :



Et son rêve d’en finir :



Le même enchaîne avec – c’est le quatrième douzain – un portrait à l’acide impitoyable du Guide, au but hors du temps et de son dessein impérial et religieux :



Pour finir, dit Lucien l’âne, et revenir un instant au début, je rappelle notre sentence, tirée de Molière adaptée à notre propos, « La peste soit de la religion et des religieux ». Et tissons, tissons le linceul de ce vieux monde tartufe, faux, hypocrite, trompeur, sournois, toursiveux et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane