Ce corps qui fut un corps
ne flânera plus
le long du Tigre ou de l’Euphrate
ramassé par une pelle qui ne se souviendra
d’aucune douleur
mis dans un sac en plastique noir
ce corps qui fut une âme,
un nom et un visage
retourne à la terre des sables
détritus et absence.
Cette terre avide d’eau
n’a eu que du sang
pour irriguer le grand silence
ce désert affligé a ouvert les tranchées du sommeil
et les homes s’y sont engouffrés
par milliers en un éclair
la peau déchirée
une bougie allumée veillait à l’intérieur
de la cage thoracique défunte.
Un peu du ciel habitait ces corps voués à l’oubli.
Une couverture de sable a été déposée
sur ces sacs noirs par une main en métal.
Plus rien ne bouge.
Par même les souvenirs ardents des premières amours.
Ni l’oiseau inconnu venu du jour lointain pour
la prière des morts. Il est noir et immobile, les
yeux brûlés, éternel.
Ce corps qui fut une parole
ne regardera plus la mer en pensant à Homère.
Il ne s’est pas éteint. Il a été touché par un
éclat du ciel brisant la parole et le souffle.
Ces cristaux mêlés au sable
sont les derniers mots prononcés par ces hommes
sans armes.
Visages noircis par un feu qui ne tremble point.
Page d’une vie calcinée
comme un secret illisible.
Le regard, lentement arraché du visage: c’est une
mince feuille de papier belle et résistante, troublante
et légère; un voile entre la vie et notre mort; un
silence qui retient quelques grains de sable.
Les visages lavés par le même feu bref et précis
ne sont plus des visages.
L’épure d’un souvenir de visage est enseveli
dans les mêmes sacs noirs.
Le désordre et la défaite ont mêlé les jours
et les regards.
Ce corps qui fut un rire
brûle à présent.
Cendres emportées par le vent jusqu’au fleuve
et l’eau les reçoit comme les restes
de larmes heureuses.
Cendres d’une mémoire où perle une petite vie
bien simple, une vie sans histoire, avec un jardin,
une fontaine et quelques livres.
Cendres d’un corps échappé à la fosse commune
offertes à la tempête des sables.
Quand le vent se lèvera, ces cendres iront
se poser sur les yeaux des vivants.
Ceux-ci n’en sauront rien
ils marcheront triomphants avec un peu de mort
sur le visage.
Innombrables sont les signes
se vidant de leur eau
dans le tumulte de l’extrême
là, au bord d’un cimetière mouvant.
Dans ce pays les morts voyagent
comme les statues et les flames.
Ils portent des lunettes
et tendent les bras roussis
pour s’envoler.
On dit qu’ils sont devenus invisibles
et s’en vont offrir aux vivantes les années
qui leur restaient à vivre.
Ainsi, que d’ans jonchent le désert:
un siècle et plus.
Des vies qui tremblent pour dire:
«La mort n’est pas fatale
comme la nuit est l’ombre du soleil».
ne flânera plus
le long du Tigre ou de l’Euphrate
ramassé par une pelle qui ne se souviendra
d’aucune douleur
mis dans un sac en plastique noir
ce corps qui fut une âme,
un nom et un visage
retourne à la terre des sables
détritus et absence.
Cette terre avide d’eau
n’a eu que du sang
pour irriguer le grand silence
ce désert affligé a ouvert les tranchées du sommeil
et les homes s’y sont engouffrés
par milliers en un éclair
la peau déchirée
une bougie allumée veillait à l’intérieur
de la cage thoracique défunte.
Un peu du ciel habitait ces corps voués à l’oubli.
Une couverture de sable a été déposée
sur ces sacs noirs par une main en métal.
Plus rien ne bouge.
Par même les souvenirs ardents des premières amours.
Ni l’oiseau inconnu venu du jour lointain pour
la prière des morts. Il est noir et immobile, les
yeux brûlés, éternel.
Ce corps qui fut une parole
ne regardera plus la mer en pensant à Homère.
Il ne s’est pas éteint. Il a été touché par un
éclat du ciel brisant la parole et le souffle.
Ces cristaux mêlés au sable
sont les derniers mots prononcés par ces hommes
sans armes.
Visages noircis par un feu qui ne tremble point.
Page d’une vie calcinée
comme un secret illisible.
Le regard, lentement arraché du visage: c’est une
mince feuille de papier belle et résistante, troublante
et légère; un voile entre la vie et notre mort; un
silence qui retient quelques grains de sable.
Les visages lavés par le même feu bref et précis
ne sont plus des visages.
L’épure d’un souvenir de visage est enseveli
dans les mêmes sacs noirs.
Le désordre et la défaite ont mêlé les jours
et les regards.
Ce corps qui fut un rire
brûle à présent.
Cendres emportées par le vent jusqu’au fleuve
et l’eau les reçoit comme les restes
de larmes heureuses.
Cendres d’une mémoire où perle une petite vie
bien simple, une vie sans histoire, avec un jardin,
une fontaine et quelques livres.
Cendres d’un corps échappé à la fosse commune
offertes à la tempête des sables.
Quand le vent se lèvera, ces cendres iront
se poser sur les yeaux des vivants.
Ceux-ci n’en sauront rien
ils marcheront triomphants avec un peu de mort
sur le visage.
Innombrables sont les signes
se vidant de leur eau
dans le tumulte de l’extrême
là, au bord d’un cimetière mouvant.
Dans ce pays les morts voyagent
comme les statues et les flames.
Ils portent des lunettes
et tendent les bras roussis
pour s’envoler.
On dit qu’ils sont devenus invisibles
et s’en vont offrir aux vivantes les années
qui leur restaient à vivre.
Ainsi, que d’ans jonchent le désert:
un siècle et plus.
Des vies qui tremblent pour dire:
«La mort n’est pas fatale
comme la nuit est l’ombre du soleil».
Contributed by Riccardo Gullotta - 2022/9/23 - 08:29
Language: Italian
Traduzione italiana / Traduction italienne / Italian translation / Italiankielinen käännös:
Egi Volterrani
Egi Volterrani
DALLE CENERI
Quel corpo che già fu un corpo
non si attarderà più
sulle rive del Tigri o dell’Eufrate
raccolto da una pala che non avrà ricordo
di dolore alcuno
messo in un sacco di plastica nero
quel corpo che già fu un’anima,
un nome e un volto
ritorna alla terra delle sabbie
rifiuto e assenza.
Quella terra avida di acqua
non ha avuto che il sangue
per irrigare il grande silenzio
quel deserto afflitto ha aperto le trincee del sonno.
E in un baleno gli uomini
si sono riversati dentro a migliaia
la pelle scorticata
una candela accesa vegliava all’interno
della gabbia toracica defunta.
Un poco di cielo abitava quei corpi votati all’oblio.
Una coperta di sabbia è stata deposta
su quei sacchi neri da una mano metallica.
Niente si muove più.
Neanche i ricordi ardenti dei primi amori.
Nemmeno l’uccello sconosciuto venuto da un
giorno lontano per la preghiera dei morti. È nero
e immobile, con gli occhi bruciati, eterno.
Quel corpo che già fu parola
non guarderà più il mare pensando a Omero.
Non si è spento. È stato raggiunto da una scheggia
di cielo che gli ha spezzato la voce e il respiro.
Questi cristalli mescolati alla sabbia
sono le ultime parole pronunciate da quegli uomini
senz’armi.
Facce annerite da un fuoco che non trema.
Pagina di una vita calcinata
come un segreto illeggibile.
Lo sguardo, lentamente strappato dal volto: è
un sottile foglio di carta, bello e resistente, inquietante
e leggero: un velo tra la vita e la nostra morte:
un silenzio che trattiene qualche granello di sabbia.
Le facce lavate dallo stesso fuoco breve e preciso
non sono più facce.
La traccia del ricordo di un volto è sepolta
in quegli stessi sacchi neri.
Il disordine e la disfatta hanno confuso i giorni
e gli sguardi.
Quel corpo che già fu una risata
adesso brucia.
Ceneri portate via dal vento fino al fiume
e l’acqua le riceve come resti
di lacrime felici.
Ceneri di una memoria in cui traluce una piccola
vita molto semplice, una vita senza storia, con
un giardino, una fontana e qualche libro.
Ceneri di un corpo scampato alla fossa comune
offerte alla tempesta delle sabbie.
Quando si alzerà il vento quelle ceneri
si andranno a posare sugli occhi dei vivi.
E quelli senza saperne niente
cammineranno trionfanti con un po’ di morte
sul viso.
Innumerevoli sono i segnali
che si svuotano della loro acqua
laggiù, nell’estremo tumulto
sul bordo di un cimitero in movimento.
In questo paese i morti viaggiano
come le statue e le fiamme.
Portano gli occhiali
e tendono le braccia bruciacchiate
per prendere il volo.
Dicono che sono diventati invisibili
e vanno offrendo ai vivi gli anni di vita
che ancora restano loro.
Quanti anni sparsi in quel modo sul deserto:
un secolo e oltre.
Vite da raccogliere come sciacalli impagliati
vite che tremano nel dire:
«La morte non è così fatale
come la notte che è l’ombra del sole».
Quel corpo che già fu un corpo
non si attarderà più
sulle rive del Tigri o dell’Eufrate
raccolto da una pala che non avrà ricordo
di dolore alcuno
messo in un sacco di plastica nero
quel corpo che già fu un’anima,
un nome e un volto
ritorna alla terra delle sabbie
rifiuto e assenza.
Quella terra avida di acqua
non ha avuto che il sangue
per irrigare il grande silenzio
quel deserto afflitto ha aperto le trincee del sonno.
E in un baleno gli uomini
si sono riversati dentro a migliaia
la pelle scorticata
una candela accesa vegliava all’interno
della gabbia toracica defunta.
Un poco di cielo abitava quei corpi votati all’oblio.
Una coperta di sabbia è stata deposta
su quei sacchi neri da una mano metallica.
Niente si muove più.
Neanche i ricordi ardenti dei primi amori.
Nemmeno l’uccello sconosciuto venuto da un
giorno lontano per la preghiera dei morti. È nero
e immobile, con gli occhi bruciati, eterno.
Quel corpo che già fu parola
non guarderà più il mare pensando a Omero.
Non si è spento. È stato raggiunto da una scheggia
di cielo che gli ha spezzato la voce e il respiro.
Questi cristalli mescolati alla sabbia
sono le ultime parole pronunciate da quegli uomini
senz’armi.
Facce annerite da un fuoco che non trema.
Pagina di una vita calcinata
come un segreto illeggibile.
Lo sguardo, lentamente strappato dal volto: è
un sottile foglio di carta, bello e resistente, inquietante
e leggero: un velo tra la vita e la nostra morte:
un silenzio che trattiene qualche granello di sabbia.
Le facce lavate dallo stesso fuoco breve e preciso
non sono più facce.
La traccia del ricordo di un volto è sepolta
in quegli stessi sacchi neri.
Il disordine e la disfatta hanno confuso i giorni
e gli sguardi.
Quel corpo che già fu una risata
adesso brucia.
Ceneri portate via dal vento fino al fiume
e l’acqua le riceve come resti
di lacrime felici.
Ceneri di una memoria in cui traluce una piccola
vita molto semplice, una vita senza storia, con
un giardino, una fontana e qualche libro.
Ceneri di un corpo scampato alla fossa comune
offerte alla tempesta delle sabbie.
Quando si alzerà il vento quelle ceneri
si andranno a posare sugli occhi dei vivi.
E quelli senza saperne niente
cammineranno trionfanti con un po’ di morte
sul viso.
Innumerevoli sono i segnali
che si svuotano della loro acqua
laggiù, nell’estremo tumulto
sul bordo di un cimitero in movimento.
In questo paese i morti viaggiano
come le statue e le fiamme.
Portano gli occhiali
e tendono le braccia bruciacchiate
per prendere il volo.
Dicono che sono diventati invisibili
e vanno offrendo ai vivi gli anni di vita
che ancora restano loro.
Quanti anni sparsi in quel modo sul deserto:
un secolo e oltre.
Vite da raccogliere come sciacalli impagliati
vite che tremano nel dire:
«La morte non è così fatale
come la notte che è l’ombra del sole».
Contributed by Riccardo Gullotta - 2022/9/23 - 15:55
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Note for non-Italian users: Sorry, though the interface of this website is translated into English, most commentaries and biographies are in Italian and/or in other languages like French, German, Spanish, Russian etc.
Tahar Ben Jelloun
Musique / Musica / Music / Sävel:
Symphony No. 6 in B minor, Op. 74 'Pathétique', IV. Finale- Adagio lamentoso
Ufficialmente la Guerra del Golfo è finita. Il Kuwait non è più occupato. L'Iraq è in gran parte distrutto. E i morti sono sepolti. Non tutti. Gli occidentali hanno contato i loro morti e li hanno rimpatriati. Alla loro partenza si sono lasciati dietro migliaia di vittime. Non sapremo forse mai quante persone, civili e militari, sono state uccise dalle tonnellate di bombe sganciate sull'Iraq. Sono questi corpi anonimi, questi corpi carbonizzati di cui abbiamo visto brevemente le immagini in televisione, a cui questo testo vorrebbe rendere omaggio. Vorrebbe dare loro dei nomi e inscriverli su una stele per ricordo. Senza odio. Con dignità. Gettati nella fossa comune, formerebbero una sorta di volto anonimo che conterrebbe e richiamerebbe alla mente tutti gli assenti.
Occorreva lavare le parole, estrarre l'erba rossa che brillava. Bisognava scolpire le immagini in una memoria a un tempo recente e antichissima. Sono spesso nude e hanno subito diversi spostamenti. Hanno viaggiato, attraversato i secoli e continuano a cercare asilo tra emozione e pudore.
Ogni guerra lascia dietro di sé dei resti. Quella del Golfo ne ha lasciati molti. E il mondo, la coscienza del mondo, ha già posato gli occhi altrove. È questione di abitudine. Il mondo del potere, gli Stati Uniti d'America ei suoi alleati, si è abituato a lavarsi le mani e tranquillizzare la propria coscienza dopo aver causato morti e distruzione. Si uniforma con tutta calma alla logica del becchino dopo aver proclamato "la logica della guerra".
Una volta stesa una coltre di sabbia e cenere su migliaia di corpi anonimi, si esercita la dimenticanza.
Poi la poesia emerge. Per necessità. Si fa parola impellente nel disordine in cui è calpestata la dignità dell'essere.
Ma le parole restano pallide quando la ferita è profonda, quando il caos pianificato è brutale e irreversibile. Contro questo le parole. E cosa possono fare?
Tra silenzi afflitti e un balbettare disperato, la poesia si ostina a pronunciarsi. Il poeta grida o mormora; sa che tacere potrebbe sembrare un reato, un crimine.
E’ un dolore secolare che rende il nostro respiro irrisorio. Il poeta è colui che rischia le parole. Le mette giù per poter respirare. Ciò non rende le sue notti più tranquille.
Dare un nome alla ferita, ridare un nome al volto cancellato dalla fiamma, dire, fare e disfare le rive del silenzio, ecco ciò che gli detta la sua coscienza. Deve circoscrivere l'impotenza della parola di fronte all'estrema brutalità della storia, di fronte all'angoscia di quelli che non hanno più niente, nemmeno la ragione per sopravvivere e dimenticare.
Domani gli uomini, con I galloni sulle spalle, le medaglie sul petto, il berretto di generale o maresciallo, si riuniranno davanti a una mappa. Con calma, con freddezza, decideranno di far avanzare le loro truppe di qua, o di là, invadendo un paese, massacrando i civili nel sonno, poi ciò avverrà nella totale impunità, dato che quelli che sono all'origine della sventura si incontreranno di nuovo di fronte alla stessa mappa per cessare quelle che chiamano "ostilità". E il mondo continuerà a respirare come fa da milioni di anni.
Chi parlerà per i sepolti, gli scorticati, gli impiccati, quelli gettati nelle fosse comuni? I militari lo trasformeranno in un pacco legato e astratto, su cui scriveranno sopra la parola "Martiri". E poi dimenticheremo. Per forza.
La poesia si accontenterà di essere lì, di essere proclamata come una preghiera, nel silenzio, nel raccoglimento del lutto.
Il nostro bisogno di dire è incommensurabile, anche se le nostre parole, portate dal vento, sbatteranno contro le montagne fino a perdere senso, fino a fare buchi nella roccia e far muovere i sassi pesanti dell'insonnia.
Tahar Ben Jelloun, Giugno 1991
Officiellement la guerre du Golfe est terminée. Le Koweït n’est plus occupé. L’Irak est en grande partie détruit. Et les morts sont enterrés. Pas tous. Les Occidentaux ont compté leurs morts et les ont rapatriés. En partant, ils ont laissé derrière eux des milliers de victimes. On ne saura peut-être jamais combien les tonnes de bombes larguées sur l’Irak ont tué de personnes, civiles et militaires. Ce sont ces corps anonymes, ces corps calcinés et dont on a vu brièvement des images à la télévision, à qui ce texte voudrait rendre hommage. Il voudrait leur donner des noms et les inscrire sur une stèle pour le sou- venir. Sans haine. Avec dignité. Jetés dans la fosse commune, ils feraient une sorte de visage anonyme qui contiendrait et rappellerait tous les absents.
Il fallait laver les mots, arracher l’herbe rouge qui scintille. Il fallait ciseler les images dans une mémoire récente et en même temps très vieille. Elles sont souvent nues et ont subi plusiers dé- placements. Elles ont voyagé, traversé les siècles et continuent de chercher asile entre l’émotion et la pudeur.
Chaque guerre laisse derrière elle des restes. Celle du Golfe en a laissé beaucoup. Et le monde, la conscience du monde ont déjà les yeux posés ail- leurs. C’est une question de routine. Le monde des puissants—les États-Unis d’Amérique et leurs al- liés—a pris l’habitude de se laver les mains et de rassurer sa conscience après avoir provoqué morts et destructions. Il rejoint en toute sérénité la logique du fossoyeur après avoir proclamé « la logique de guerre ».
Une fois qu’on a tiré une couverture de sable et de cendre sur des milliers de corps anonymes, on cultive l’oubli.
Alors la poésie se soulève. Par nécessité. Elle se fait parole urgente dans le désordre où la dignité de l’être est piétinée.
Mais les mots restent pâles quand la blessure est profonde, quand le chaos programmé est brutal et ir- réversible. Contre cela les mots. Et qu’y peuvent-ils?
Entre le silence meurtri et le balbutiement désespéré, la poésie s’entête à dire. Le poète crie ou murmure; il sait que se taire pourrait ressembler à un délit, un crime.
Il est une douleur millénaire qui rend notre souffle dérisoire. Le poète est celui qui risque les mots. Il les dépose pour pouvoir respirer. Cela ne rend pas ses nuits plus paisibles.
Nommer la blessure, redonner un nom au visage annulé par la flamme, dire, faire et défaire les rives du silence, voilà ce que lui dicte sa con- science. Il doit cerner l’impuissance de la parole face à l’extrême brutalité de l’histoire, face à la détresse de ceux qui n’ont plus rien, pas même la raison pour survivre et oublier.
Demain, des hommes, galons sur l’épaule, mé- dailles sur la poitrine, un béret de général ou de maréchal, se réuniront devant une carte. Calme- ment, froidement, ils décideront d’avancer leurs troupes ici, ou là, envahissant un pays, massacrant des civils en leur sommeil, puis cela se passera en toute impunité, puisque ceux à l’origine du mal- heur se réuniront de nouveau face à la même carte pour cesser ce qu’ils appellent « les hostilités ». Et le monde continuera de respirer comme il le fait depuis des millions d’années.
Qui parlera pour les ensevelis, les écorchés, les pendus, les jetés dans les fosses communes? Les militaires en feront un paquet ficelé, ab- strait, sur lequel ils inscriront le mot « Martyrs ». Et puis on oubliera. Forcément.
La poésie se contentera d’être là, pour être dite comme une prière, dans le silence, dans le recueille- ment du deuil.
Incommensurable est notre besoin de dire, même si nos paroles, emportées par le vent, iront buter contre les montagnes jusqu’à la perte du sens, jusqu’à faire des trous dans la roche et faire bouger les pierres lourdes de l’insomnie.
Tahar Ben Jelloun, Juin 1991
La Remontée des cendres
Tahar Ben Jelloun scrisse La Remontée des cendres / L’elevazione delle ceneri nel 1991, sollecitato dal dramma delle vittime della Guerra del Golfo.
L’opera consiste di due libri: La Remontée des cendres e Non identifiés . È un atto d’accusa contro tutte le guerre, contro la natura della guerra.
È scritta in versetti che richiamano la forma della Bibbia e del Corano. L’autore dà la parola ai morti. L’uso del registro epico contribuisce a trasformare le vittime in eroi che “vedono lontano, oltre muri e montagne, oltre tutti i silenzi”.
Morte e disperazione non sono un assoluto: «La mort n’est pas fatale comme la nuit est l’ombre du soleil». Così come la vita non è la negazione della morte: “Ces cendres iront se poser sur les yeux des vivants. Ceux-ci n’en sauront rien ils marcheront triomphants avec un peu de mort sur le visage”.
Nonostante i nostri assidui tentativi di rimuovere die Todestriebe / le pulsioni di morte, dirette a distruggere l’altro-da-sé, una sostanza di morte rimane impressa sui nostri volti.
[Riccardo Gullotta]