Un matin glacial de février
Où les toits gouttent moroses,
Dans la cour, au pied de l’escalier,
Ma mère a trouvé la chose.
Chez nous, chacun a son humeur,
Chacun a son pas dans l’escalier.
Ma mère entre, on voit battre son cœur
Et dans sa main, une boule de papier.
Jette ça, ma fille, en vitesse !
Dit mémé plus pâle que la mort.
C’est l’œuvre d’une diablesse,
C’est le malheur, c’est un sort.
Les sorts, on y croit très fort.
Mémé ferme les yeux et se met à prier ;
Maman se tait et tremble encore.
Mon père ramasse la boule de papier.
Dans un silence de tombe,
Papa déplie le papier dangereux,
Rien ne tombe.
Papa lit le papier mystérieux.
Une feuille blanche avec des mots
Tapés à la machine ; des mots.
Qu’est-ce qui est écrit ?
Qu’est-ce que ça dit ?
Cette chose n’est pas un sort malvenu.
Ne dites rien à personne. Silence absolu.
C’est un tract, un message clandestin,
Un papier boulé pour changer notre destin.
Où les toits gouttent moroses,
Dans la cour, au pied de l’escalier,
Ma mère a trouvé la chose.
Chez nous, chacun a son humeur,
Chacun a son pas dans l’escalier.
Ma mère entre, on voit battre son cœur
Et dans sa main, une boule de papier.
Jette ça, ma fille, en vitesse !
Dit mémé plus pâle que la mort.
C’est l’œuvre d’une diablesse,
C’est le malheur, c’est un sort.
Les sorts, on y croit très fort.
Mémé ferme les yeux et se met à prier ;
Maman se tait et tremble encore.
Mon père ramasse la boule de papier.
Dans un silence de tombe,
Papa déplie le papier dangereux,
Rien ne tombe.
Papa lit le papier mystérieux.
Une feuille blanche avec des mots
Tapés à la machine ; des mots.
Qu’est-ce qui est écrit ?
Qu’est-ce que ça dit ?
Cette chose n’est pas un sort malvenu.
Ne dites rien à personne. Silence absolu.
C’est un tract, un message clandestin,
Un papier boulé pour changer notre destin.
envoyé par Marco Valdo M.I. - 10/5/2020 - 11:22
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Quelques histoires albanaises, tirées de nouvelles d’Ismaïl Kadaré, traduites par Christian GUT et publiées en langue française en 1985 sous le titre La Ville du Sud.(2)
Un papier boulé pour changer notre destin.
Nous voici, Lucien l’âne mon ami, de retour dans l’Albanie du Sud, vers 1940, très précisément à Gjirokastër et plus encore, probablement, dans cette ruelle des Fous qui est sans doute la ruelle la plus célèbre d’Albanie et pourquoi pas, du monde. Dans cette ruelle ou tout à côté, se trouve la maison où vit cette famille dont la grand-mère, dite mémé, avait annoncé « la guerre » à la lecture de L’Os du Coq.
Bien sûr, dit Lucien l’âne, que je me souviens de cet épisode de divination. À ce sujet, je voudrais quand même souligner que la superstition n’est pas morte ; elle sévit encore, sous de multiples formes et chez des gens qu’on penserait rationnels. Il est vrai que la bêtise est fort répandue chez les humains. Maintenant, on ne peut pas dire que la Mémé ait eu tort lorsqu’à la lecture de l’os du coq, elle annonça : « La guerre », car en effet, la guerre est arrivée. Mais d’autre part, cette guerre était dans l’air et cette annonce d’aruspice ou de Pythie n’était qu’une sorte d’écho des rumeurs qui circulaient depuis un temps et qui reflétaient la situation tendue de cette région frontalière entre l’Impero italien et le Royaume de Grèce, touts deux dirigés par des fascistes. Mais au fait, quel rapport avec cette nouvelle chanson ?
Bonne question, Lucien l’âne. Eh bien, on pourrait dire que cette nouvelle chanson, dont le titre est « LE TRACT », s’inscrit dans cette même période et est un des éléments de cette atmosphère de guerre et de résistance.Il n’est d’ailleurs pas précisé de quel bord vient ce tract, ni ce qu’il raconte.
De quel bord ? Ni ce qu’il raconte ?, demande Lucien l’âne. Qu’est-ce que ça veut dire ?
Je m’en vas te l’expliquer, répond Marco Valdo M.I., mais d’abord, je voudrais attirer ton attention sur un autre aspect de cette affaire. Un aspect en liaison avec la grand-mère et son univers particulier tout empreint de magie. L’affaire se présente ainsi : la maman remonte de la cour – remonte, car dans les maisons de Gjirokaster, La grande pièce d’apparat, de réception et de vie familiale, avec ses hautes fenêtres, est située au premier étage et le rez-de-chaussée est une zone d’entreposage et de service, notamment, la citerne. Donc, la mère remonte de la cour et elle tient à la main une boule de papier qu’elle vient de ramasser près du portail d’entrée. Une chose étrangère qu’un inconnu a jetée là. Cette boule intrusive est immédiatement interprétée comme un sort, c’est-à-dire un sortilège, un objet magique ou ensorcelé et donc, dangereux.
Oh, dit Lucien l’âne, les sorts, voilà bien des choses inquiétantes et depuis la plus haute antiquité, je peux te le garantir. Comme tu le sais, je suis moi-même – à ce qu’en disait Apulée – la victime d’un sortilège, lancé par une sorcière.
Sans vouloir généraliser à tous les lieux et à tous les temps, dit Marco Valdo M.I., dans cette histoire albanaise vieille de bientôt un siècle, il apparaît une sorte de dichotomie entre l’appréhension des sorts par les femmes et par les hommes. Les femmes réagissent de la manière traditionnelle et rejettent cet objet diabolique. C’est le père, lui, sans doute moins superstitieux et peut-être aussi engagé dans l’affrontement politique, qui ramasse l’objet insolite, déplie le papier et après un coup d’œil, déclare : c’est un tract. Comme à ses yeux, c’est aussi un objet dangereux, mais pour d’autres raisons, il intime le secret à toute la famille.
Pour d’autres raisons ? Lesquelles ?, demande Lucien l’âne.
J’y viens, reprend Marco Valdo M.I., à ces raisons qui sont assez complexes à démêler. Je ne peux rien dire de tranché du bord d’où ce tract proviendrait, ni de son contenu. Cependant, on peut recourir au contexte et comme toujours dans La Guerre de Cent mille ans, la guerre a mille visages et diverses conformations. Un, il y a l’occupation du pays par l’armée italienne et donc, deux : il y a la résistance à cette occupation et à l’annexion pure et simple du pays ; trois, indépendamment de la guerre à venir et de l’occupation en cours, il y a la guerre civile souterraine entre Albanais : outre ceux qui se sont ralliés à l’Impero italien – en gros, les fascistes albanais, il y a une résistance divisée en gros entre les royalistes, d’une part et les communistes d’autre part ; ces deux derniers camps sont les plus susceptibles de diffuser clandestinement des tracts. Aussi, quel que soit le bord et le contenu du tract, on peut être sûrs de l’exactitude de la conclusion :
« C’est un tract, un message clandestin,
Un papier boulé pour changer notre destin. »
Certainement, Ora e sempre, Resistenza ! (Lo avrai camerata Kesselring), dit Lucien l’âne et j’imagine qu’on en saura plus ultérieurement. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde clandestin, superstitieux, militant et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane