Régulièrement, j’écris
Mes lettres le mardi et le vendredi.
C’est le régime ici.
Rien de neuf, tout reste pareil :
Les gouttes de pluie et le rayon de soleil.
Les jours s’égalent
Et semblables s’étalent
En un amas chronométrique.
Je mène une vie atonique,
Mais très hygiénique.
Ne pouvoir rien faire,
Ce mal me désespère.
Au Château Saint-Ange, Cellini
D’une brindille et de poussière,
Lui aussi, l’écrivit.
Je n’ai rien demandé :
Ni de pouvoir peindre,
Ni d’acheter des livres.
J’attends d’être libre
Et de pouvoir m’en aller.
Cellini avait raison,
Comme de l’oiseau en cage la chanson,
La littérature des peuples
Est née en cellule
Derrière les barreaux des prisons.
Du matin au soir, je lis,
Douze heures par jour.
Et me vient à l’esprit
Spinoza qu’on bannit
Pour toujours.
Mes lettres le mardi et le vendredi.
C’est le régime ici.
Rien de neuf, tout reste pareil :
Les gouttes de pluie et le rayon de soleil.
Les jours s’égalent
Et semblables s’étalent
En un amas chronométrique.
Je mène une vie atonique,
Mais très hygiénique.
Ne pouvoir rien faire,
Ce mal me désespère.
Au Château Saint-Ange, Cellini
D’une brindille et de poussière,
Lui aussi, l’écrivit.
Je n’ai rien demandé :
Ni de pouvoir peindre,
Ni d’acheter des livres.
J’attends d’être libre
Et de pouvoir m’en aller.
Cellini avait raison,
Comme de l’oiseau en cage la chanson,
La littérature des peuples
Est née en cellule
Derrière les barreaux des prisons.
Du matin au soir, je lis,
Douze heures par jour.
Et me vient à l’esprit
Spinoza qu’on bannit
Pour toujours.
Contributed by Marco Valdo M.I. - 2019/5/3 - 19:00
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Lettre de prison 25
4 juin 1935
Tu as certes compris, Lucien l’âne mon ami, que ces lettres de prison se ressemblent toutes et aussi que quand on les lit pour la première fois sorties de leur contexte, elles paraissent assez banales et se répètent ; du moins en apparence. Et pourtant, elles véhiculent un flux d’émotions, de sentiments et quand on y regarde de plus près, tout un univers mental. En fait, elles reflètent le monde intérieur du prisonnier.
Je perçois ce dont tu parles, Marco Valdo M.I. mon ami, même si c’est de manière floue et du coup, j’aimerais que tu détailles un peu la chose.
Évidemment, Lucien l’âne mon ami, ce sont là des considérations générales qui peuvent être appliquées à l’ensemble des lettres du prisonnier. Reste à creuser la spécificité de celle-ci, à la distinguer des toutes les autres, à suivre au plus près les méandres de la méditation du prisonnier Levi, qui a les allures d’un magma, d’un flot, d’un fleuve d’indéfini coulant jours et nuits. D’un jour à l’autre, il n’y a :
Les gouttes de pluie et le rayon de soleil. »
Oui, Marco Valdo M.I., il n’y a pas beaucoup d’action dans ces lieux désolés, je te le concède et par conséquent, au fil du temps, il n’y a pas grand-chose qui sorte de ce brouillard indifférencié. Moi, je vois quand même déjà quelque chose de particulier : c’est la formulation. Si le thème est le même, les mots pour le dire font la différence.
Tu as raison, Lucien l’âne mon ami, il y a la façon de (re)dire les choses et de traiter cette mélodie obsessionnelle qui meuble des heures de prison ; spécialement quand le prisonnier est seul en cellule. À qui causer ? L’homme a besoin de distraction ; je veux dire qu’il a besoin de distraire son esprit, de l’activer pour ne pas sombrer dans je ne sais quoi, dans le vide mental, dans l’atonie. L’immobilité forcée entraîne – si l’on n’y prend garde – un fort ralentissement de tout l’être et d’une certaine façon, le conduit à une sorte d’hibernation psychique et cet état qui finit par avoir raison du dynamisme. Il finit par épuiser la capacité de résistance du prisonnier et c’est sans doute aussi un des buts recherchés quand on tient un captif en isolement.
Et que vient faire ici l’orfèvre, le maître sculpteur Cellini, s’il s’agit bien de lui, de celui-là qui fondit l’immense Persée ?, demande Lucien l’âne.
En effet, Lucien l’âne, c’est de Benvenuto Cellini qu’il est question, le créateur de ce monstrueux Persée qui présente la tête à bout de bras et pose son pied sur le corps nu décapité de Méduse et de la Salière de François Ier, roi de France. Cependant, c’est à ses mémoires que Carlo Levi se réfère et au séjour qu’il fit dans la prison du Château Saint-Ange sur les bords du Tibre, à propos duquel il fit un éloge de la prison considérée comme une couveuse ou une nourrice d’écrivains :
La littérature des peuples
Est née en cellule
Derrière les barreaux des prisons. »
Il est fait aussi état dans sa lettre de Baruch Spinoza, qui jeune encore – il avait 23 ans, fut banni de la communauté juive sous l’accusation d’hérésie. Il faut dire qu’on le considérait alors déjà, comme un athée. C’est évidemment une manière d’annoncer ou de présager la future condamnation à la confination qui pèse sur les épaules de Carlo Levi. Ainsi donc, comme tu le vois, derrière les phrases et les mots où tout semble semblable à soi-même d’une lettre à l’autre, dans lesquelles Carlo Levi parle du temps, de la durée rythmée des jours, de l’inactivité, de son innocence, de sa qualité et de ses préoccupations d’artiste et de ses tableaux, de ses lectures limitées aux livres de la bibliothèque de l’établissement, on peut découvrir tut un monde en ébullition. Non, non, non, Carlo Levi n’est pas en état d’hibernation.
Voilà qui est rassurant, dit Lucien l’âne. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde carcéral, monotone, hibernant et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane