Je souris de toute accusation.
Si on me condamne,
Ce n’est pas moi qu’ils condamnent,
Mais un autre,
Pur fruit de leur imagination.
Ici, je mène la guerre sainte
Contre les punaises.
Une guerre silencieuse,
Un combat quotidien et sournois
Entre elles et moi.
Cette lutte inégale et sauvage
Est toute à mon avantage.
Je les tue, elles ne me tuent pas.
Elles ne me mordent même pas.
J’ai le sang amer ; elles ne l’aiment pas.
Ce sont des animaux très fourbes,
Ingénieux, retors et rusés.
Dès qu’on les approche, ils filent.
Par une fissure, ils fuient
Dans les abris du plancher.
Je suis cruel et féroce,
Je les écrase.
Avec une allumette, je les brûle ;
Comme dans mon studio à Paris,
Je les élimine sans merci.
Après je lis les comédies de Goldoni,
Plus stupides l’une que l’autre ;
Mais plus elles sont stupides,
Plus elles me divertissent.
Ce sont mes fêtes de la nuit.
Si on me condamne,
Ce n’est pas moi qu’ils condamnent,
Mais un autre,
Pur fruit de leur imagination.
Ici, je mène la guerre sainte
Contre les punaises.
Une guerre silencieuse,
Un combat quotidien et sournois
Entre elles et moi.
Cette lutte inégale et sauvage
Est toute à mon avantage.
Je les tue, elles ne me tuent pas.
Elles ne me mordent même pas.
J’ai le sang amer ; elles ne l’aiment pas.
Ce sont des animaux très fourbes,
Ingénieux, retors et rusés.
Dès qu’on les approche, ils filent.
Par une fissure, ils fuient
Dans les abris du plancher.
Je suis cruel et féroce,
Je les écrase.
Avec une allumette, je les brûle ;
Comme dans mon studio à Paris,
Je les élimine sans merci.
Après je lis les comédies de Goldoni,
Plus stupides l’une que l’autre ;
Mais plus elles sont stupides,
Plus elles me divertissent.
Ce sont mes fêtes de la nuit.
envoyé par Marco Valdo M.I. - 4/3/2019 - 15:36
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Chanson léviane – La Guerre sainte – Marco Valdo M.I. – 2019
Lettre de prison 12
20 avril 1934
Évidemment avec un titre pareil, c’est une chanson qui attire le regard, dit Lucien l’âne.
Oui, elle attire le regard avec son titre en trompe l’œil, répond Marco Valdo M.I, car s’il y est question d’une guerre sainte, ce n’est pas celle qu’on pourrait croire.
Qu’on pourrait croire, ah, ah !, dit Lucien l’âne, elle est bien bonne celle-là, car croire en la guerre sainte, c’est le cas de le dire. Moi, ces idées de croyance et de guerre sainte me font toujours rire, tellement elles sont absurdes et loufoques.
Mais enfin, Lucien l’âne mon ami, je te rassure, nous, on n’est pas là pour croire, ni pour faire la guerre – sainte ou pas, faut-il te le rappeler. Cependant, je reviens à ma guerre sainte ou plutôt à celle que mène dans sa cellule le prisonnier. C’est une guerre sainte et farouche, parsemée d’armées de cadavres chaque jour renouvelées. De plus, et cette fois tu peux sans crainte me croire, c’est une guerre aussi inévitable que nécessaire. Tous ceux qui ont dû y recourir te le confirmeront et ils te diront aussi que c’est une guerre sans fin, sans cesse recommencée, du moins dans les lieux où elle s’est installée en quelque sorte à demeure, en territoire conquis. Cela dit, comme tu vas le voir, elle n’a pas que des vilains côtés – du moins, pour le prisonnier : cette guerre le distrait, elle rompt la monotonie des jours. Mais je m’aperçois, à tes regards de plus en plus effarés, que je ne t’ai pas encore dit quels sont les belligérants. Sachant que le champ de bataille est la cellule de la prison, d’un côté bien sûr, il y a le prisonnier Carlo Levi et de l’autre, il y a les punaises.
Contre les punaises.
Une guerre silencieuse,
Un combat quotidien et sournois »
Tout ça pour ça, dit Lucien l’âne. Quelle histoire !
Oui, tout ça pour ça, reprend Marco Valdo M.I., mais ton acrimonie vient de ce que tu n’as – comme moi, au début – pas encore réfléchi à tous les aspects de la question. D’une part, la guerre entre l’humanité et les (vraies) punaises, généralement connues sous le nom de punaises de lit, est aussi ancienne et aussi étendue que La Guerre de Cent mille ans et y mettre fin par élimination de ces insectes est un objectif louable et probablement, actuellement, hors de portée. Cependant, tu as raison, cette guerre aux punaises est anecdotique, mais si tu prends la peine de te souvenir (Ah ! Le devoir de mémoire !) du fait que les nazis et pas seulement eux, traitaient les Juifs ou d’autres de leurs ennemis, de punaises, de poux, de rats et sans doute d’autres choses encore et si tu veux bien te souvenir aussi de l’implacable ironie, issue de la glande poétique identifiée par le Dr. Levi, du terrible humour caustique dont Carlo Levi était coutumier, cette séquence rabelaisienne et pour tout dire, picrocholine, prend une tout autre signification. Pour cela, il faut évidemment inverser la perspective.
Ah, dit Lucien l’âne, inverser la perspective, qu’est-ce à dire ?
Eh bien, cette guerre sans merci que le prisonnier Carlo Levi mène contre les punaises – de vraies punaises – est une métaphore de ce qui se pratique ailleurs contre les hommes – les pogroms, par exemple. Pour qui savait lire, il y avait là matière à réflexion.
Alors, dit Lucien l’âne, si je comprends bien, il faut interpréter cette guerre du prisonnier contre les punaises comme une dénonciation de ce racisme qui tue les humains en les ramenant au rang le plus bas, parmi les animaux – insectes, rongeurs, bactéries, que sais-je, qu’il convient d’exterminer par pur souci d’hygiène sanitaire. En quelque sorte pour le bien public. Ainsi, la mémoire du passé éclairait le futur.
Par ailleurs, ajoute Marco Valdo M.I., on peut aussi voir dans cette description du combat contre les punaises, celle du combat de l’opposant contre les tenants du régime et leurs sbires. En quelque sorte, il y a là une réflexion vague et nébuleuse, mais nettement résistante.
Il y aurait encore mille choses à dire, mille réflexions à faire ou plus encore, mais elles se feront bien tout seules en toute autodétermination comme vont les idées quand elles sont libres, et nous, nous concluons tissant le linceul de ce vieux monde infesté, hygiéniste, raciste, populiste et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane