Ici, il faut s’occuper : balayer, ranger ;
Ces affaires domestiques
Sont choses mécaniques
Elles meublent les jours entiers
Qui s’en vont, oubliés.
De refaire chaque jour mon lit,
À la longue, je ris.
Reborder les couvertures
Est une étrange aventure
Qui me ravit.
Je comprends à présent
Combien les femmes ont plaisir
À coucher les enfants des pères
Qu’elles ont vus naître et grandir.
C’est l’art d’être grand-mères.
Je relis Anna Karénine,
Une histoire de femmes et d’amours,
Un livre de toujours,
Une Traviata si vive, si fine,
Elle m’a tenu compagnie quelques jours.
Rassurez-vous, je suis en bonne santé ;
Soyez tranquilles, je suis serein.
Mais qui aurait jamais imaginé
Qu’on me fasse un tel destin ?
Finalement, la prison est une maison de santé.
Ici, on joue un drame tragi-comique.
S’il n’était pas aussi ennuyeux,
Ce serait humoristique.
Sûr que les juges, gens méticuleux
Me renverront chez moi sous peu.
Ces affaires domestiques
Sont choses mécaniques
Elles meublent les jours entiers
Qui s’en vont, oubliés.
De refaire chaque jour mon lit,
À la longue, je ris.
Reborder les couvertures
Est une étrange aventure
Qui me ravit.
Je comprends à présent
Combien les femmes ont plaisir
À coucher les enfants des pères
Qu’elles ont vus naître et grandir.
C’est l’art d’être grand-mères.
Je relis Anna Karénine,
Une histoire de femmes et d’amours,
Un livre de toujours,
Une Traviata si vive, si fine,
Elle m’a tenu compagnie quelques jours.
Rassurez-vous, je suis en bonne santé ;
Soyez tranquilles, je suis serein.
Mais qui aurait jamais imaginé
Qu’on me fasse un tel destin ?
Finalement, la prison est une maison de santé.
Ici, on joue un drame tragi-comique.
S’il n’était pas aussi ennuyeux,
Ce serait humoristique.
Sûr que les juges, gens méticuleux
Me renverront chez moi sous peu.
envoyé par Marco Valdo M.I. - 23/1/2019 - 22:06
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Lettre de prison 6
Canzone léviane – La Maison de Santé – Marco Valdo M.I. – 2019
27 mars 1934
Parfois, Lucien l’âne mon ami, je me dis qu’il serait plus simple de ne pas commenter les chansons et en vérité, elles n’en ont pas besoin. Elles disent toutes seules ce qu’elles ont à dire ; d’autant plus pour celles-ci qui n’ont d’autre objet que de faire le lien, de faire la liaison entre des gens qu’une barrière sépare.
Qu’est-ce qui t’arrive Marco Valdo M.I. mon ami ? Aurais-tu perdu me goût de parler, le plaisir de noter ces conversations de bonne compagnie ? As-tu seulement songé à ce fait irrémédiable que sans elles, nous n’existerions simplement pas l’un pour l’autre ?
J’y pense, Lucien l’âne mon ami, j’y pense souvent à nos dialogues et à leur maïeutique. Sans eux, nous ne serions pas là à nous disputer autour de tout, de rien, d’un mot qui passe. Moi, encore, je serais occupé à l’une ou l’autre chanson, l’une ou l’autre version française d’une chanson en langue étrangère, toi, tu signerais de temps en temps une chanson, un commentaire. Mais qui serais-je sans toi qui vins à ma rencontre au détour d’un buisson, au pied dune haie, ballant la tête à chaque pas ? Bref, nous voilà ici.
Et puis, répond Lucien l’âne, il y a que je suis toujours ébahi de voir les mots s’aligner, puis s’entasser doucement comme si à la longue, ils feraient une montagne, un terril, un crassier. A priori, ils ne disent rien de notable ; ils disent, c’est tout.
C’est vrai, Lucien l’âne mon ami, mais c’est compter sans la maïeutique qui vient en extraire on ne sait quel mystère, comme d’un tas de vieux débris de terre rejetées à l’écart lors de l’extraction, les mineurs d’or du Chili tirent, à force de patience, de quoi assurer un temps un surplus à leur subsistance. Par une étrange chimie, les poussières d’or s’agglutinent et forment des paillettes que le mineur enferme précieusement dans son sachet et le cache. Enfin, c’était vrai vers 1834, un siècle avant cette lettre de prison, quand Charles Darwin l’a indiqué sur son carnet de voyage.
Bon sang de bonsoir, Marco Valdo M.I. mon ami, te voilà encore en train de nous bassiner avec tes histoires qui n’ont rien à voir et moi, comme un âne, en train de me faire avoir. Dis-moi plutôt ce que dit la chanson.
Oh, elle ! Que dit-elle ?, reprend rêveusement Marco Valdo M.I. Que veux-tu que je te dise ? Je ne sais trop, l’écume des jours d’un prisonnier : balayer, ranger, refaire un lit, penser au passé, ne pas oublier d’affirmer son statut d’artiste, d’homme de culture – il parle de l’Anna Karénine, de rassurer la famille, d’ironiser – la prison est une maison de santé (il pensait peut-être à Paris où Santé et prison sont synonymes), enfin, affirmer son incompréhension face aux accusations, jouer les innocents.
Au fait, demande Lucien Lane, tu penses que Levi imaginait que les censeurs qui lisaient ses lettres avant de les renvoyer au destinataire, les gens de la police politique, les juges chargés de son instruction se laisseraient convaincre ou prendraient au sérieux ses dénégations ?
Je ne le sais pas, Lucien l’âne mon ami, mais ce qui est certain, c’est que si Carlo Levi (ou n’importe quel prisonnier) av ait reconnu quoi que ce soit dans ces lettres, ils en auraient fait usage contre lui. C’est à mon sens une des raisons pour lesquelles les autorités pénitentiaires et judiciaires laissent aux prisonniers la possibilité d’échanger du courrier avec l’extérieur. Mais ici, comme lors des interrogatoires, c’est un jeu de dupes et Carlo Levi est assez subtil à ce jeu de « à malin, malin et demi ». Il retourne l’instrument contre ses instructeurs ; ils veulent des détails, des confidences et ils en reçoivent. Ils veulent de la vérité ; ils en sont arrosés. À ce jeu, il y a un précédent historique célèbre, dont je veux te parler, celui d’un prisonnier qui a adressé par écrit un texte où il raconte tout son parcours à son oppresseur et à la demande de ce dernier et je te propose de deviner qui est ce personnage, à partir d’un petit texte, que j’ai un peu arrangé à ton intention, de façon à lui donner un caractère un peu énigmatique et à ménager un rien de suspense : « Le pouvoir désire surtout des révélations sur la politique de son prisonnier et sur les personnes qui y ont été impliquées. Pour le prisonnier, il n’est pas question pour lui de compromettre qui que ce soit… En arrangeant habilement les choses connues (par le pouvoir), sans rien y ajouter d’important, il donnera l’impression de ne pas être obstiné dans son silence. »
Vraiment, Marco Valdo M.I. mon ami, je ne sais pas de qui il s’agit.
Ce texte est connu sous le nom de « Confession » et Lucien l’âne mon ami, au moment où l’auteur de cette singulière confession à celui qui lui en a fait la demande expresse de lui écrire « comme à son confesseur », ce prisonnier célèbre est déjà deux fois condamné à mort et virtuellement exécuté. Il s’en sortira cependant de la manière décrite ici. Ces deux personnages sont le Tsar Nicolas Ier et le prisonnier, Michel Bakounine. J’ajoute qu’à mon sens, Carlo Levi ne devait pas ignorer cette histoire.
Oh, dit Lucien l’âne, Michel Bakounine, c’était un bien brave homme celui-là, un véritable ami de la liberté et un infatigable ennemi de ce vieux monde, dont nous aussi à notre tour tissons le linceul, un vieux monde plein de mots, de mensonges, de menteries, de ruse, de méchanceté, d’autorité et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane