Aujourd’hui, on peut envoyer,
Par une étrange faveur,
Deux lettres ; c’est un petit bonheur.
Vous écrire, c’est comme vous parler ;
Ça réchauffe le cœur.
On se sent plus proches,
On dirait qu’on vous touche,
Qu’on voit vos yeux et votre bouche.
Dites à papa de ne pas s’en faire
Et de continuer tranquillement ses affaires.
Nous ne passerons pas la Pâque ensemble ;
C’est la troisième fois, il me semble.
On ne s’attendrira pas à la cuisine
Devant le rôti d’agneau ou la carpe en gélatine,
Malgré toutes les injonctions divines.
Ici, comme la prison
Est devenue une sorte de synagogue
Et de nos frères, un vrai catalogue,
Vos rituelles invocations
Sont des appels à la libération.
Ici, le jour se différencie
Par le temps qui l’éclaire.
Ça nous rapproche de la nature :
Journées de soleil, lumineuses et claires ;
Bruits vagues et monotones des jours de pluie.
Quand, à l’aube, on nous réveille,
Le premier regard est pour le ciel
Gris, terne, indistinct, espérant le soleil.
Par-dessus le toit, de petits nuages lourds
Annoncent la levée du jour.
Par une étrange faveur,
Deux lettres ; c’est un petit bonheur.
Vous écrire, c’est comme vous parler ;
Ça réchauffe le cœur.
On se sent plus proches,
On dirait qu’on vous touche,
Qu’on voit vos yeux et votre bouche.
Dites à papa de ne pas s’en faire
Et de continuer tranquillement ses affaires.
Nous ne passerons pas la Pâque ensemble ;
C’est la troisième fois, il me semble.
On ne s’attendrira pas à la cuisine
Devant le rôti d’agneau ou la carpe en gélatine,
Malgré toutes les injonctions divines.
Ici, comme la prison
Est devenue une sorte de synagogue
Et de nos frères, un vrai catalogue,
Vos rituelles invocations
Sont des appels à la libération.
Ici, le jour se différencie
Par le temps qui l’éclaire.
Ça nous rapproche de la nature :
Journées de soleil, lumineuses et claires ;
Bruits vagues et monotones des jours de pluie.
Quand, à l’aube, on nous réveille,
Le premier regard est pour le ciel
Gris, terne, indistinct, espérant le soleil.
Par-dessus le toit, de petits nuages lourds
Annoncent la levée du jour.
envoyé par Marco Valdo M.I. - 19/1/2019 - 10:50
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Canzone léviane – Les petits Nuages lourds – Marco Valdo M.I. – 2018
27 mars 1934
Je vois à ton œil noir d’ébène et luisant comme un soulier vernis, Mon ami Lucien l’âne, que ce titre t’intrigue et que tu aimerais savoir ce qui se cache derrière ces « petits Nuages lourds ». Je n’avais pas besoin de voir tes yeux vibrants à la lisière de ton front pour savoir que tu ne manquerais pas de me questionner à ce sujet comme tu l’as fait déjà des dizaines de fois.
Eh bien oui, je te questionne Marco Valdo M.I. mon ami. Qu’est-ce que sont ces petits nuages lourds ? D’où sortent-ils, en quelque sorte ?
Mais de la chanson tout simplement, pardi !, répond Marco Valdo M.I., du dernier quintil qui se termine ainsi :
Annoncent la levée du jour. »
et comme tu manqueras pas de le remarquer, ce « par-dessus le toit » est une allusion à un poème d’un écrivain prisonnier dans un établissement de la ville voisine, il y a maintenant environ 150 ans.
Oh, je le connais ce poème et je connais ce poète emprisonné pour avoir révolvérisé son jeune ami. Là, Marco Valdo M.I., tu ne me prendras pas en défaut, car ces deux-là, je les avais accompagnés un temps quand ils marchaient de conserve sur les chemins de nos régions. Et cette allusion vise très précisément le thème de ce poème qui est sans doute, le plus tranquille poème de prison, dont c’est par ailleurs le titre. Il commence ainsi, si ma mémoire est bonne :
Si bleu, si calme ! »
Mais à part ça, que raconte cette chanson ?
D’abord, Lucien l’âne mon ami, il est certain que Carlo Levi, qui a vécu à Paris dans les années qui précèdent, qui était connu comme un peintre de Montparnasse, n’ignorait pas l’œuvre de Paul Verlaine. Donc, pour répondre à ton œil bruissant, cette chanson de prison est volontairement de tonalité verlainienne. Et si tu cherches, dans ces petits nuages lourds, tu pourras retrouver Félix Leclerc et son petit bonheur, Pierre Seghers et son Merde à Vauban, qui sont nettement postérieurs aux écrits de Carlo Levi, mais je n’ai jamais prétendu que ces chansons qui sont miennes tireraient tous leurs mots et toutes leurs images des textes des lettres écrites aux Nuove en 1934-35. Il s’agit de les faire connaître et de les mettre en scène, de recréer une ambiance. Cependant sur les éléments réels, telle la référence à la Pâque juive et au repas de famille et l’auto-ironie qu’elle induit avec ce « Malgré toutes les injonctions divines » et le quintil qui suit, là on est assurément dans les mots de Carlo Levi.
Ah oui ?, dit Lucien l’âne et que dit-il ?
En fait, reprend Marco Valdo M.I., il ne peut s’empêcher de remarquer et de souligner que les arrestations et les enfermements dans la prison de Turin visent curieusement les Juifs au point qu’il peut ironiser :
Est devenue une sorte de synagogue
Et de nos frères, un vrai catalogue »
et nous, avec le recul, on ne peut manquer d’y voir une mise en garde. Vu sous cet angle, il y a aussi dans le ciel si bleu, si calme des années 30 (et pas seulement en Italie) de petits nuages lourds qui annoncent d’épouvantables jours.
En voilà assez pour ces nuages si lourds, Marco Valdo M.I. mon ami ; ils me font froid dans l’échine, car qui sait ce que les petits d’aujourd’hui portent en eux, d’autant qu’ils ont – étant nuages – la faculté d’ignorer les frontières terrestres. Il y a dans cette Europe d’aujourd’hui, des relents de ces temps-là qui ne me plaisent pas plus qu’ils ne plaisaient à Carlo Levi et à ses amis de Justice et Liberté. Cependant, il me faut conclure. Tissons le linceul de ce vieux monde empesté, pestilentiel, pestiféré et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien l’âne.