Finalement, il fait beau ;
Les belles journées de printemps
S’allongent et donnent chaud.
Ce premier orage maintenant,
Pour la saison, c’est fort tôt.
Tout à l’heure, j’ai vu
Des araignées rouges au ventre tendu ;
Elles arrivent avec le printemps.
Les confinés pour de longs temps
Les soignent avec un amour éperdu.
Pour le pauvre prisonnier,
Ce sont choses troublantes,
Des rides sur un visage aimé.
Pour moi, elles sont apaisantes ;
Je n’ai pas l’âme d’un prisonnier.
Quant au soleil, si chaud au cœur,
Campanella l’invoquait par désir de chaleur.
Pour moi, la cellule n’est pas un trou immonde ;
La lumière s’y déverse par-dessus la bonde ;
Fra Angelico, à la fresque, y peignait le monde.
Monastères, couvents et prisons se ressemblent
Vont fort bien ensemble,
Tous privent de présent :
Les uns, au nom de la vie future ;
Les autres, en raison du passé, également.
La prison est absurde, c’est une méthode
Qui attache à sa faute le condamné,
Qui l’incruste dans son passé.
Elle applique un code
Depuis longtemps passé de mode.
Les belles journées de printemps
S’allongent et donnent chaud.
Ce premier orage maintenant,
Pour la saison, c’est fort tôt.
Tout à l’heure, j’ai vu
Des araignées rouges au ventre tendu ;
Elles arrivent avec le printemps.
Les confinés pour de longs temps
Les soignent avec un amour éperdu.
Pour le pauvre prisonnier,
Ce sont choses troublantes,
Des rides sur un visage aimé.
Pour moi, elles sont apaisantes ;
Je n’ai pas l’âme d’un prisonnier.
Quant au soleil, si chaud au cœur,
Campanella l’invoquait par désir de chaleur.
Pour moi, la cellule n’est pas un trou immonde ;
La lumière s’y déverse par-dessus la bonde ;
Fra Angelico, à la fresque, y peignait le monde.
Monastères, couvents et prisons se ressemblent
Vont fort bien ensemble,
Tous privent de présent :
Les uns, au nom de la vie future ;
Les autres, en raison du passé, également.
La prison est absurde, c’est une méthode
Qui attache à sa faute le condamné,
Qui l’incruste dans son passé.
Elle applique un code
Depuis longtemps passé de mode.
envoyé par Marco Valdo M.I. - 13/1/2019 - 20:47
×
Lettre de prison 3
Canzone léviane – Les Araignées rouges – Marco Valdo M.I. – 2018
Vois-tu, Lucien l’âne mon ami, il faut toujours garder à l’esprit le temps, non pas le temps qu’il fait, mais bien ce temps qui est et qui passe obstinément. Par exemple, il ne faudrait pas oublier que ces chansons de prison sont le reflet de lettres de prison qui ont été écrites il y a plus de quatre-vingts ans.
Certes, dit Lucien l’âne, quatre-vingt-cinq ans, c’est plus de quatre cinquièmes d’un siècle ; c’est un fameux bout de temps, l’équivalent d’une vie humaine actuelle. Soit, mais pourquoi dis-tu ça maintenant ?
Tout simplement, répond Marco Valdo M.I., parce que dans le cas de ces Araignées rouges, ça n’a aucune importance ; elles me paraissent intemporelles. Du moins, elles sont à l’échelle du millénaire et s’il n’y était pas question de monastères (minster, munster, münster, moutier) et de couvents, dont l’origine se situe vers 350 en Égypte – un temps où l’Égypte était le haut lieu de la chrétienté et qui naquirent du rassemblement des cénobites tranquilles et ces araignées rouges remonteraient aux premières prisons, il y a plusieurs milliers d’années ; en fait, probablement, quand les prisons sont apparues à la création des premières agglomérations ; ce sont de petites personnes curieuses et pour ce qui en est dit par Carlo Levi, des animaux fort sociables et affectueux. Cependant, leur développement moderne comme lieu d’enfermement de longue durée, tendant à la punition et à la rédemption, est lié à l’Inquisition.
Bien, bien, Marco Valdo M.I., mais il me semble que tu en as dit assez à ce sujet. Parle-moi plutôt de ce que raconte la chanson.
Puisque tu le demandes, Lucien l’âne mon ami, je m’en vas te faire un petit topo de la canzone. On retrouve au début, comme il est logique, une amorce, une petite réflexion sur le temps qu’il fait, ce temps qui passe sans rien faire d’autre, c’est de temps vide de la vie vide, c’est le temps du rien, c’est le temps où naît l’ennui, si on ne peut nourrir le néant de sa propre création. Ensuite, viennent les Araignées, de petites araignées rouges qui pour les « confinés pour de longs temps », sont des compagnes bienvenues et bien soignées.
En disant ça, Carlo Levi passe le message apaisant que lui ne fait pas partie de ces « confinés pour un long temps » ; il rassure sa famille et en même temps, il fait savoir à destination de ses « amis » de Giustizia e Libertà (Justice et Liberté) qu’il pense sortir bientôt. Cependant, en prison, le temps n’a pas la même dimension qu’à l’extérieur. Qu’est-ce que bientôt ?
« Des araignées rouges au ventre tendu ;
Elles arrivent avec le printemps.
Les confinés pour de longs temps
Les soignent avec un amour éperdu. »
Et dans le quintil suivant, il ajoute :
« Pour moi, elles sont apaisantes ;
Je n’ai pas l’âme d’un prisonnier. »
Oh, Marco Valdo M.I., je t’interromps, mais je voudrais faire une remarque. La première concerne les araignées rouges qui sont soignées par les prisonniers ; j’ai entendu dire, au long de mes longues pérégrinations, qu’il n’y a pas que les araignées du printemps à tenir ainsi compagnie aux prisonniers ; il y a des rats, des souris, des chats, des oiseaux. En fait, tous ceux qui peuvent franchir les barreaux et viennent apprivoiser le gros animal encagé.
Ensuite, reprend Marco Valdo M.I., Carlo Levi évoque le soleil et Campanella ; il s’agit de dire beaucoup de chose : un, son niveau de débat face au régime ignare ; deux, La Cité du Soleil qui est évidemment le monde de plein air auquel il aspire ; trois, Campanella lui aussi fit de la prison et malgré qu’il dut y passer 27 ans, il en sortit et reprit le cours de sa vie.
« Quant au soleil, si chaud au cœur,
Campanella l’invoquait par désir de chaleur. »
On voit bien ce que tout ça évoque et laisse entendre à qui veut bien comprendre. C’est le « comprend qui peut, comprend qui veut ». Ensuite, il parle à nouveau de peinture, mais d’un peintre révolutionnaire, ni contestataire, il parle d’un peintre ancien et replace ainsi sa revendication de son statut d’artiste, menant sans en avoir l’air une ligne de défense qu’il va développer, y compris lors des interrogatoires des juges du Tribunal spécial, institué par Mussolini pour les opposants au régime :
« Fra Angelico, à la fresque, y peignait le monde. »
Il s’agit également d’entretenir son image d’artiste hors du temps, ignorant de politique et par conséquent forcément à l’écart de la lutte antifasciste. Enfin, dans le dernier quintil, il s’en prend à la prison en tant que peine, ce qui est une attaque frontale contre le fondement du régime qui est précisément la discipline, l’obéissance et les conséquents châtiments. En fait, ce banal petit bout de poème est en soi toute une philosophie de l’organisation sociale. La prison, la façon de traiter le prisonnier est un des miroirs dans lequel on peut voir à nu l’esprit de la société.
Décidément, Marco Valdo M.I., il me faut comme chaque fois t’arrêter dans tes réflexions. Ce n’est pas qu’elles me paraissent insignifiantes, ni qu’elles me révulsent, mais il s’agit – je dois te le rappeler – de commenter une canzone. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde prisonnier de lui-même, de l’ennui, de l’envie, de l’arrogance, de l’ignorance et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane