Till dit : « La mort vient comme un voleur ?,
Je n’y comprends rien, je ne comprends pas.
Quel est ce mystère, dis-moi, ma sœur ? »
Elle dit : « Ils viennent, j’entends leurs pas. »
« De qui sont ces pas ? De quel ennemi ? »
« Des soudards, une bande de soldats du roi. »
« Mais, dit Till, on nous traite bien ici. »
« Oui, dit-elle, comme les bœufs qu’on abat. »
« Reste là, dit Till, ne crie pas ni ne pleure ;
Je m’en vais sauver nos gens. »
« L’Espagnol vient ! », la voix court à l’instant
À toutes les tavernes, à toutes les demeures
Tous pressent l’allure et filent au vaisseau,
À bord, on prépare vaille que vaille
Les armes et la mitraille pour une bataille
Navale sur la glace autour du bateau.
« Vois-tu, Lamme, cette femme sur le quai,
Sa robe noire d’écarlate brodée,
Sa capeline blanche relevée
Qui tient son visage caché ? »
Elle découvre sa chevelure et son front
Lamme hurle : « Ma femme ! ».
La dame fuit d’un grand trotton,
Au grand dam de Lamme
Et Lamme veut sauter du pont.
On le retient, il pleure, il supplie.
« Si tu quittes le bord, on te prendra la vie
Et tu pendras comme à la ligne un poisson. »
« La diablesse enragée !, se lamente Lamme,
Ma femme, pourquoi ainsi se montre-t-elle ?
Si elle m’aime, pourquoi me laisse-t-elle ?
Elle me brûle pire que mille flammes. »
Alors, avec son artillerie, l’ennemi arrive,
Alors, autour du navire, les boulets plombent,
Alors le vaisseau tiraille vers la rive,
Alors vers le soir, une pluie tiède tombe.
Et la mer se fâche sous la glace,
Et soulève les blocs face contre face.
Et à l’aube, le navire ouvre ses ailes de lin
Et vogue vers la mer, libre dans le matin.
Je n’y comprends rien, je ne comprends pas.
Quel est ce mystère, dis-moi, ma sœur ? »
Elle dit : « Ils viennent, j’entends leurs pas. »
« De qui sont ces pas ? De quel ennemi ? »
« Des soudards, une bande de soldats du roi. »
« Mais, dit Till, on nous traite bien ici. »
« Oui, dit-elle, comme les bœufs qu’on abat. »
« Reste là, dit Till, ne crie pas ni ne pleure ;
Je m’en vais sauver nos gens. »
« L’Espagnol vient ! », la voix court à l’instant
À toutes les tavernes, à toutes les demeures
Tous pressent l’allure et filent au vaisseau,
À bord, on prépare vaille que vaille
Les armes et la mitraille pour une bataille
Navale sur la glace autour du bateau.
« Vois-tu, Lamme, cette femme sur le quai,
Sa robe noire d’écarlate brodée,
Sa capeline blanche relevée
Qui tient son visage caché ? »
Elle découvre sa chevelure et son front
Lamme hurle : « Ma femme ! ».
La dame fuit d’un grand trotton,
Au grand dam de Lamme
Et Lamme veut sauter du pont.
On le retient, il pleure, il supplie.
« Si tu quittes le bord, on te prendra la vie
Et tu pendras comme à la ligne un poisson. »
« La diablesse enragée !, se lamente Lamme,
Ma femme, pourquoi ainsi se montre-t-elle ?
Si elle m’aime, pourquoi me laisse-t-elle ?
Elle me brûle pire que mille flammes. »
Alors, avec son artillerie, l’ennemi arrive,
Alors, autour du navire, les boulets plombent,
Alors le vaisseau tiraille vers la rive,
Alors vers le soir, une pluie tiède tombe.
Et la mer se fâche sous la glace,
Et soulève les blocs face contre face.
Et à l’aube, le navire ouvre ses ailes de lin
Et vogue vers la mer, libre dans le matin.
Contributed by Marco Valdo M.I. - 2018/9/30 - 21:21
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Chanson française – Les Bœufs qu’on abat – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 92
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – IV, I)
Ça alors ! dit Lucien l’âne, on dirait du Malraux. J’ai comme le vague souvenir d’un livre qui fit fureur un temps dans certains cénacles de France.
Certes, répond Marco Valdo M.I., c’est le titre d’un livre où l’écrivain André Malraux fait parler « le Général » à la retraite, mais c’est surtout une citation de Victor Hugo, dont je lis le passage, tiré du Tombeau de Théophile Gautier :
« Tout penche et ce grand siècle, avec tous ses rayons
Entre en cette ombre immense où pâles nous fuyons.
Oh ! Quel farouche bruit font dans le crépuscule
Les chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule !
Les chevaux de la mort se mettent à hennir,
Et sont joyeux, car l’âge éclatant va finir… »
Donc, rendons au grand Victor Hugo, ce qu’il a signé de son nom : Victor Hugo.
Oh, Marco Valdo M.I., ça me rappelle ce récit de Riccardo Venturi dont tu fis une chanson : Signé Vittorugo.
Oui, Lucien l’âne mon ami, et tu fis bien de l’évoquer, car elle est vraiment drôle. De toute façon, ici ce sont des bœufs qu’on abat ; c’est peut-être plus prosaïque, et du coup, passablement, ironique ; car, c’est bien le sens – cette ironie amère – de la réplique de la mystérieuse interlocutrice que Till rencontre à l’auberge. C’est de l’ironie d’insistance, car la belle inconnue se rend compte que Till, plus préoccupé par ses manœuvres de courtoisie, n’entend pas le ton grave de ses avertissements qu’elle ne peut énoncer à voix haute, ni en clair au milieu de tous ces gens. C’est en quelque sorte un message codé. Et tant pour les chênes d’Hugo (1872), que pour les bœufs de la Légende (1867), la source doit en être une expression populaire, une sorte de cliché dans le genre : « il pleut comme vache qui pisse ». Cela dit, le message – cette fois, grâce aux bœufs promis à la mort– est nettement perçu et Till s’en va à l’instant faire passer discrètement (la ville est déjà remplie d’ennemis) l’alarme. Il était temps : « L’Espagnol arrive ! ».
« L’Espagnol ? », s’étonne Lucien l’âne, là-bas, tout en haut des Pays et même hors des Pays, si j’ai bien compris où se situe Emden. Et puis, dans la ville d’Emden, des Espagnols seraient vite repérés.
En effet, Lucien l’âne mon ami, ta question mérite un commentaire circonstancié, même si je n’aime pas beaucoup ces explications de texte, qui sont le fait normal d’un professeur, mais assurément pas d’un auteur. Autrement dit, c’est bon que c’est toi ; sinon, je ne fais pas ça et pour une simple raison, c’est qu’il revient au lecteur de chercher le sens des choses ; c’est bon pour le mental et ça laisse place aux mystères de l’art poétique. Et donc, revenons à la chanson, que vient faire l’Espagnol à Emden. D’abord, il faut noter qu’en disant « L’Espagnol arrive ! », Till n’a pas besoin de faire de longs discours et ce message bref est très parlant et fort efficace. Quand on est Gueux, on ne se pose pas de question avec un pareil signal, on file à son poste de combat. Maintenant, est-ce que ce sont des Espagnols, ces soudards ? Vraisemblablement non, ce sont probablement des mercenaires allemands que les Espagnols payent pour chasser les Gueux. En finale, ça revient au même : il va y avoir un affrontement. Alors, tous au vaisseau, qui est toujours bloqué à quelques encablures de la rive par les glaces et dès lors, ne peut s’échapper, ni échapper aux troupes terrestres. Ce sera un étrange combat naval.
C’est ce que j’allais dire, rétorque Lucien l’âne. Ce ne doit pas être fréquent de tels combats. De plus, la situation est vraiment dangereuse pour le navire qui ne peut manœuvrer.
Bien sûr, dit Marco Valdo M.I., il est très vulnérable et n’étaient son artillerie et ses mousquets qui peuvent tenir l’ennemi à l’écart, ce serait l’abordage tout de suite, avec l’avantage du nombre aux mercenaires. Mais la chanson raconte tout ça et ce qui s’ensuit. Elle raconte aussi le touchant moment où Lamme voit sa femme. Il ne te reste plus qu’à conclure …
Eh bien, conclut Lucien l’âne, tissons le linceul de ce vieux monde mercenaire, militaire, belliqueux et cacochyme
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane