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La Croisière Des Nanavortées ou Amsterdam-sur-eau

Agnès Varda
Langue: français


Agnès Varda

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Les Temps Difficiles (2)
(Léo Ferré)


[1965]

Notre ventre est à nous


Dans les années un peu passé le milieu du siècle dernier, ou si l'on veut dans les années d'après-guerre ou de guerre froide ou après la guerre de Corée ou autour de la guerre d'Algérie ou pendant la guerre du Viet-Nam…

Quelle énumération… On dirait que le monde est étalonné par les guerres, dit Lucien l'âne un peu interloqué…

Mais précisément, c'est le cas… Évidemment, il y a une explication globale à cela, c'est que les guerres sont des événements marquants et spectaculaires. En somme, il y a de l'action et dans notre monde où l'image animée, le bruit et la rumeur font marcher le commerce des médias, les guerres sont d'un très bon rapport. C'est aussi le paysage de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres afin de maintenir et d'accroître l'écart qui les sépare de la valetaille.

Maintenir l'écart ? Accroître l'écart ?

Et bien oui ! Maintenir et accroître l'écart – soit d'une part, les riches toujours plus riches ; d'autre part, les pauvres toujours plus pauvres. Et pas seulement en ce qui concerne les biens matériels ou les conditions de vie, mais aussi dans tous les domaines. Réfléchis un instant à ceci : À quoi servirait-il d'être riches si on ne voyait pas la différence, si on ne marquait pas la différence, si on n'était pas reconnus comme tels. Donc, j'en reviens à la canzone, au milieu un peu passé du siècle dernier et à ce voyage étonnant de ces femmes sur les canaux d'Amsterdam.

Pourquoi Amsterdam ?, demande l'âne Lucien en agitant les oreilles pour attirer l'attention.

Tout simplement, car à l'époque, la Hollande, les Pays-Bas étaient une nation très en avance sur le reste de l'Europe en ce qui concerne les libertés et les solidarités. Du moins, pendant un moment. Ils ont un temps (trop court, malheureusement) laissé entrevoir une Europe tolérante, intelligente et proche des gens. C'est le temps où 50 ans avant tout le monde, Amsterdam avait mis à disposition des vélos gratuits, où la liberté sexuelle n'était plus réprimée, où un monde à la fois égalitaire et libertaire était sereinement envisagé, où germaient 68 et ce qui s'ensuit encore aujourd'hui … Forcément, un tel univers était (et reste) intolérable pour le système, pour la société, pour leur monde… Nous, comme tu le sais, nous, toi, moi, les mais, on s'en accoutume fort bien, mais pas les riches et pas leur suite. Toujours cette question de l'écart… Par exemple, à cette époque, en Hollande, aux Pays-Bas, les dames, les femmes, les filles, nos compagnes qui le souhaitaient (traduire : que la vie contraignait à), pouvaient être « aidées » en toute clarté, dans des conditions médicalement acceptables, sans faire l'objet de réprobation … En Belgique et ailleurs, cela viendra plus tard… Après bien des combats contre l'obscurantisme … Même si de courageux médecins, y compris les médecins de famille, mais aussi des infirmières, des étudiants… pratiquaient cette solidarité – chacun avec leurs capacités tentaient de pallier aux obstructions légales. De façon générale, on en était à la clandestinité organisée… dans le meilleur des cas. Il y avait aussi forcément le pire. Le pire risque bien de revenir quand les gens des services de santé – les médecins, les para-médicaux font ce qu'ils appellent joliment de l'objection de conscience… Belle conscience qu'on a vue à l’œuvre ici quand les nonnettes revenant du Congo ont été avortées avec la bénédiction papale et la couverture de toute l'Église. Toujours ce fameux : « deux poids, deux mesures ».

Mais enfin, Marco Valdo M.I., mon ami, tu le sais bien quand ce diction : « Dieu reconnaît les siens ! » ; en l'occurrence, les siennes. Rappelle-toi, le procès du Softenon, où une femme euthanasia son enfant pour lui éviter de vivre l'enfer sur terre… Le pape de l’époque (et celui d'aujourd'hui ferait pareil) condamna ce geste généreux. Comme disait Léo Ferré : « Quand tu verras un Pape sans bras, avec quoi donc, il te bénira ? » ; je cite de mémoire, mais la chanson s'intitulait : Les Temps Difficiles. Les Temps Difficiles (2). Mais il n'empêche, tu as raison, c'est une honte que cette soi-disant « objection de conscience » de gens sans conscience humaine. D'autant que pour les riches (toujours cet écart), la chose (innommable et innommée – et je ne parle pas de Dieu, mais de l'avortement !) ne pose aucun problème… Ils ont de quoi payer, de quoi voyager et en plus, ils font partie de la société protégée… Jamais, au grand jamais, on ne les condamnera ; d'ailleurs, on étend un voile pudique sur leurs écarts.

Donc, voici une chanson de l'époque, écrite par Agnès Varda, une de ces dames, qui deviendra une grande cinéaste… Une chanson qui raconte le voyage en Hollande. Un voyage organisé… Rentabilité oblige ! Une nef des mères forcées, moderne et terrible, vue par une des participantes. Et dire que certains – ici, en Europe, au vingt et unième siècle, voudraient y revenir. Des malades, ces gens-là … Quand les prêtres, les évêques, les archevêques, etc... accoucheront, ils pourront émettre un avis sur la question… En attendant, qu'ils mangent leur dieu et laissent le monde en paix.

Et pourquoi n'as-tu pas cité le Pape dans cette énumération ecclésiastique ?

Par hommage à la Papesse Jeanne qui accoucha lors du défilé de la Fête-Dieu… Évidemment, le bon peuple de Dieu s'empressa de la massacrer et de massacrer aussi l'enfant. En fait, remarque Lucien l'âne mon ami que le vrai scandale n'était pas que la papesse accouche, mais le vrai scandale était que cet événement révélait soudain que le pape était une femme… Au passage, on notera que la Marie était aussi une femme… Quant au père de l'enfant de Marie … On ne sait trop. C'est un mystère.

Pauvre Jeanne ! Chez ces gens-là, Monsieur, on ne pardonne pas, Monsieur, on tue, aurait dit le grand Jacques. Quant au tourisme sanitaire, il risque bien de reprendre cours dans les temps qui viennent… Du moins, dans certains coins de l'Europe… L'Infâme et ses partisans relèvent la tête, redonnent de la voix, envahissent à nouveau les rues, ils remuent… Ils s'en prennent à l'humaine nation. Raison pour laquelle nous ne pouvons cesser de tisser le suaire de ce vieux monde réactionnaire, cagot, pompier, rétrograde et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Glissant sous les ponts d’Amsterdam
Sur un bateau-mouche hollandaise
Nous les éclopées de la baise
Nous les mamzelles, nous les madames,
Les maladroites et les niaises
Les distraitresses abusées
On a fait — ne vous en déplaise —
La croisière des nanavortées.

C’est pas romantique
Le vaporetto
Après la clinique
Amstedam-sur-eau
Tulipe et vélo
Je m’en souviendrai…

En voyant passer les vélos
On a parlé de la pilule
De nos amours au fil de l’eau
De nos enfants de nos ovules
On a ri, on a dégoisé
Sans avoir peur du ridicule
Sur un bateau trop pavoisé
Baladant des nanavortées.

Quarante ans ou seize
C’est le même lot
Le même malaise…
Amsterdam-sur-eau
Tulipe et vélo
Je m’en souviendrai…

Le long des canaux d’Amsterdam
Au son du trilingue blabla
D’une guidesse à cheveux plats
Nous les mamzelles, nous les madames
Celles qui voulaient se libérer
Et celles qui n’en parlaient pas
On a fait en riant ou pas
La croisière des pauvres nanas.

Ces florins qu’on claque
C’est pas rigolo
Quand on est patraque
Mais c’est moins gros cœur
Quand on est plusieurs
On a moins le trac.

On n’est pas unique
C’est moins trémolo
C’est plus sympathique
Amsterdam -sur-eau
Tulipe et vélo
Je m’en souviendrai…

envoyé par Marco Valdo M.I. - 18/11/2014 - 14:43




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