Langue   

L'autoroute des Teutons

Marco Valdo M.I.
Langue: français


Liste des versions


Peut vous intéresser aussi...

La Ville violée
(Marco Valdo M.I.)
Le Maître et Martha
(Marco Valdo M.I.)
La Fin des Ascèses
(Marco Valdo M.I.)


L'autoroute des Teutons


Canzone française – L'autoroute des Teutons – 1935 – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires d'Allemagne 34

Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.



Sache donc, mon cher Lucien, que l'autoroute est , dans la mythologie nazie, un des sept travaux de l'Hercule fürher, un des plus hauts faits d'Adolf le bâtisseur du Reich de Mille Ans. Çà lui donnait une forme de visionnaire, d'inventeur, de précurseur, de constructeur d'un État moderne.


Oui, en effet, j'en ai souvent entendu parler dans ce sens.


Et bien, Lucien l'âne mon ami, tu pourras aisément détromper tes interlocuteurs. Si l'autoroute dont on parle ici – en fait, un tronçon d'autoroute entre Francfort et Darmstadt est bien le premier inauguré par le Führer, il arrive avec plus de dix ans de retard sur celui qui relie Milan aux lacs – environ 80 kilomètres. La conception et le développement d'une autoroute prend des années depuis le moment où on imagine d'en créer une. Dès lors, tant pour le tronçon italien que pour le tronçon allemand, la conception, l'imagination fut bien antérieure. En Allemagne, l'Avus (Automobile Verkehrs und Ubungs Strasse) date du début du siècle et l'idée d'autoroute est apparue en 1909. Quant à la première réalisation, elle date de 1921 et déjà, c'était une autoroute à péage. Elle ne faisait que 10 kilomètres... Donc, pour cette inauguration d'autoroute (soi-disant le premier d'Allemagne – mais nous savons que c'est faux...) en 1935, on ne saurait parler de précurseur ou d'idée novatrice... Encore un morceau du mythe qui s'effondre. Surtout, regarde Lucien la manière dont les choses se sont faites entre Francfort et Darmstadt – c'étaient des travaux forcés. Et puis, ces autoroutes en béton, pourquoi ? C'étaient déjà des préparatifs de guerre. Il fallait permettre le déplacement des colonnes de camions, de transports de troupes, de chars...


Oui, je vois bien que là aussi, comme pour le train du Nord, pour le chemin de fer transaméricain, pour le canal de Panama ou pour le transsibérien ou pour le tunnel du Simplon... Tous ces hommes sacrifiés, victimes de conditions de travail épouvantables... Engagés – de force – dans un système où la seule liberté qui reste finalement, c'est la mort. « Arbeit macht frei » est une sentence sinistre. Encore un épisode de cette Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres pour les écraser plus encore, pour les réduire à rien ou presque rien, pour les exploiter au maximum (c'est çà la rentabilité...), pour faire du profit... Plus je l'examine, plus j'y pense, plus je vois l'aventure des hommes, plus je me dis qu'il faut envers et contre tout tisser le linceul de ce vieux monde avare, aride, abject et cacochyme.


Ainsi Parlaient Marco Valdo et Lucien Lane.
Papa et moi, on était tous deux de la Teutonia
Lui, il y était depuis plus longtemps que moi
Ainsi, on était des Teutons tous les deux
Médecins de père en fils, on ne peut mieux.
On m'avait adjoint au Docteur Brösing, un autre Teuton
Au service médical des autoroutes en béton.
Par milliers les ex-chômeurs devaient y travailler
Aux autoroutes : bouffe merdique, salaire de famine.
Ils y perdaient la santé à tant pelleter.
Le Docteur Brösing et moi, on distillait de la médecine.
Pendant que l'autoroute Francfort-Darmstadt filait tout droit
« Arbeit macht frei » dans un lager à ciel ouvert
Tout à la main, tout à la pelle, un train d'enfer
Dans le camp où ils crevaient ces gens-là
On travaillait dans la joie pour le Führer
Les dos craquaient comme des pierres
L'infirmerie débordait de toutes parts
Le Docteur Brösing et moi, on soignait sans y croire
Le mal des terrassiers, le mal de pelle
D'une autoroute toute à la main, toute à la pelle
Sur le chantier, par milliers, les ouvriers passaient
Leur stock était inépuisable... Peu importe, s'ils mourraient
Le 19 mai, ce fut une inauguration mémorable
Sous la grêle, sous la pluie, une fanfare jouait imperturbable
La Badenweiler Marsch de Georg Fürst, un air admirable
Le Führer debout dans sa Mercedes décapotable
Aux anges, hiératique, figé, hypnotisé
Raide comme un piquet, bras tendu, bras plié
Le Führer debout dans sa Mercedes décapotable
Marche impériale devant cent mille invités
Saluait la voie royale du Reich de Mille Ans
Raide comme un piquet, bras tendu, bras plié
En tête, sous la grêle, sous la pluie,
Dans la Mercedes noire, le Führer triomphant
Ensuite, le cortège des voitures, sous la grêle, sous la pluie
Puis, le Docteur Brösing dans sa Grenouille
Enfin, la fanfare, jouant la Badenweiler Marsch dans la berdouille.
Sur l'autoroute toute à la main, toute à la pelle
Sur le chantier, par milliers, les ouvriers trépassaient
Du mal des terrassiers, du mal de pelle
Leur stock était inépuisable... Peu importe, s'ils mourraient
Épuisés, cassés, sous la grêle, sous la pluie...
De Francfort à Darmstadt, une autoroute toute en béton
File tout droit, sous la grêle, sous la pluie,
C'est l'autoroute des Teutons.

envoyé par Marco Valdo M.I. - 13/5/2011 - 23:06


P.S. : Juste quelques mots à propos du narrateur, qui manifestement n'est pas un fanatique du régime ; on le sent tout au long de son monologue dans lequel il dénonce violemment le régime et la façon dont ce dernier traite les travailleurs. Et la description de la cérémonie d'inauguration sous la grêle et les averses par le Führer en personne de cette autoroute des Teutons est hallucinante d'ironie. Hitler en leveur de bras automatique est proprement surréaliste. Pour situer notre narrateur, le seul point de référence dont on dispose est le premier vers  : « Papa et moi, on était tous deux de la Teutonia ». Il ne reste plus qu'à retrouver cette Teutonia, qui devait bien être une association. Mais laquelle ? En creusant, j'ai fini par trouver, c'était la loge maçonnique de Postdam. En effet, une loge maçonnique de Postdam portait ce nom de Teutonia ("Teutonia zur Weisheit" – Weisheit étant la sagesse) ; elle fut dissoute le 15 juillet 1935.
Elle fut reconstituée en 1991.
Kontakt
Johannisloge "Teutonia zur Weisheit"
Kurfürstenstraße 52
14467 Potsdam.

De tout ce qui précède, Lucien l'âne mon ami, tu comprendras que ces trois médecins (le narrateur, son père et le docteur Brösing) étaient des francs-maçons et des ennemis du national-socialisme. Il me paraît quand même utile de préciser que parmi les francs-maçons allemands, il y eut très peu d'ennemis du régime et moins encore qui le combattirent et entrèrent en résistance. Ce narrateur, son père et le docteur Brösing faisaient partie de cette minorité anti-nazie.


Ainsi Parlaient Marco valdo M.I. et Lucien Lane

Marco Valdo M.I. - 13/6/2014 - 23:42




Page principale CCG

indiquer les éventuelles erreurs dans les textes ou dans les commentaires antiwarsongs@gmail.com




hosted by inventati.org