La deuxième rencontre se fit au bord du lac, à l'Odéon,
Un endroit qui, si l'on en croit certaine tradition,
Vit passer à ses tables des gens dont on parle encore ici et là
Joyce, Lénine, Einstein, Brecht, Mann, Krauss, Kafka
Sur la table, le champagne pétille entre les croissants et les fromages
À l'Ouest fait un clin d’œil aux Orages
Et dit : en 33, ils m'ont brûlé en place publique
Vous, ils vous ont gardé; vous leur étiez sympathique.
Ces messieurs revenus des tranchées
Des coups de main, des offensives si souvent avortées
Sur la Somme, sur la Marne, sur la Meuse
Et des moissons de la grande faucheuse
Évoquent le casque à pointe, de cuir ou de feutre pressé,
Décoratif, certes, impressionnant, sans doute, mais meurtrier –
Un coup de fusil, une balle, un éclat d'obus
Le traversait et faisait un tué de plus.
Alors, dit les Orages, on passa, le temps de l'inventer,
Au casque d'acier, antirouille, lourd et blindé jusqu'au nez.
Le casque suisse, insiste-t-il, aussi s'en inspire.
Par bonheur suisse, dit la demoiselle, il n'a pas dû tester le pire.
Pour les jeunes gens, dit À l'Ouest, le M 16, le M 17 étaient trop grands
Ils glissaient sur leurs visages d'enfants
Et au-dessus de leurs mentons tremblants
On ne voyait plus que leurs bouches crispées d'effroi.
De toute façon, les éclats d'obus crevaient leurs parois
Et même, croyez-moi, les balles de mitrailleuses.
La mort, voyez-vous, est une personne sérieuse.
Pour conclure, ces deux messieurs à la bonne fortune
Ces deux messieurs reprirent encore une prune.
Un endroit qui, si l'on en croit certaine tradition,
Vit passer à ses tables des gens dont on parle encore ici et là
Joyce, Lénine, Einstein, Brecht, Mann, Krauss, Kafka
Sur la table, le champagne pétille entre les croissants et les fromages
À l'Ouest fait un clin d’œil aux Orages
Et dit : en 33, ils m'ont brûlé en place publique
Vous, ils vous ont gardé; vous leur étiez sympathique.
Ces messieurs revenus des tranchées
Des coups de main, des offensives si souvent avortées
Sur la Somme, sur la Marne, sur la Meuse
Et des moissons de la grande faucheuse
Évoquent le casque à pointe, de cuir ou de feutre pressé,
Décoratif, certes, impressionnant, sans doute, mais meurtrier –
Un coup de fusil, une balle, un éclat d'obus
Le traversait et faisait un tué de plus.
Alors, dit les Orages, on passa, le temps de l'inventer,
Au casque d'acier, antirouille, lourd et blindé jusqu'au nez.
Le casque suisse, insiste-t-il, aussi s'en inspire.
Par bonheur suisse, dit la demoiselle, il n'a pas dû tester le pire.
Pour les jeunes gens, dit À l'Ouest, le M 16, le M 17 étaient trop grands
Ils glissaient sur leurs visages d'enfants
Et au-dessus de leurs mentons tremblants
On ne voyait plus que leurs bouches crispées d'effroi.
De toute façon, les éclats d'obus crevaient leurs parois
Et même, croyez-moi, les balles de mitrailleuses.
La mort, voyez-vous, est une personne sérieuse.
Pour conclure, ces deux messieurs à la bonne fortune
Ces deux messieurs reprirent encore une prune.
envoyé par Marco Valdo M.I. - 31/1/2011 - 22:30
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Canzone française – Casques à pointe et casques d'acier – 1915 – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires d'Allemagne 14
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 – l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Je reviens cette fois, mon ami Lucien l'âne, avec la suite de ces canzones qui racontent des Histoires d'Allemagne et à cette extraordinaire rencontre entre ces deux grands écrivains allemands, aussi opposés qu'il est possible. Mais je vois que tu te souviens de l'épisode précédent où les deux anciens des tranchées de la Somme, de Verdun ou des Flandres faisaient entendre leurs nettes différences de conception. Ernst Jünger, dit les Orages, du titre de son roman « Les Orages d'Acier », comme le laisse penser un tel titre était un fervent polémophile, empli d'un grand enthousiasme guerrier. Erich Maria Remarque, dit À l'Ouest, du titre de son roman « À l'Ouest, rien de nouveau » prenait plus en compte la douleur des hommes et ne montrait aucun penchant pour les grands exploits héroïques, ni pour la vie d'homme des casernes. On les retrouve ici qui poursuivent leur conversation un peu polémique, quand même.
Jusque là, j'avais suivi et par ailleurs, je suis bien content de retrouver ces deux témoins directs de cet énorme carnage. Évidemment, nous ne pourrons rien y changer, mais en savoir un peu plus, en savoir surtout autrement que par des récits linéaires et circonstanciés, en savoir par la voie poétique de la canzone, est une réelle découverte. Il y a là une manière d'aborder les choses qu'on ne trouve pas habituellement. De quoi parlent-ils cette fois et quelle est donc cette demoiselle qui tout d'un coup surgit dans cette canzone ?
Je commencerai par répondre à propos de cette mystérieuse demoiselle, dont je ne connais d’ailleurs pas le nom, mais la seule chose dont je peux t'assurer, c'est que c'est la journaliste suisse qui les a invités à cette rencontre. En somme, c'est leur hôte et l'ordonnatrice de leurs débats. C'est ce qui explique sa présence et aussi, son intervention, sa réplique aux « Orages »; enfin, dis-toi bien que c'est elle qui relate cette entrevue. C'est donc un personnage essentiel. Pour le reste, cette fois, la conversation va tourner autour de la question des casques utilisés pendant cette guerre, affaire toujours vue du côté allemand, il ne faut jamais l'oublier. Au commencement était le casque à pointe, dont il te souviendra que Guillaume le portait volontiers et qu'il faisait grosse impression sur les publics des cérémonies militaires; il en avait même fait un argument diplomatique lors de son passage à Tanger, par exemple. La pointe avait plusieurs usages et sans doute pas celui de foncer tête baissée pour embrocher l'adversaire, mais bien celui d'impressionner en rehaussant la taille de celui qui le portait. À la fin, on en était au casque d'acier, qui était plus discret et sans doute, un brin plus efficace pour protéger la tête du porteur. Mais, encore une fois, ces considérations apparemment ineptes ont un autre sens et permettent de décrire à nouveau certaines réalités atroces de cette guerre, dans une manière qui se rapproche de celle du fameux « dormeur du val », que Rimbaud avait croqué lors de la guerre précédente.
« Pour les jeunes gens, dit À l'Ouest, le M 16, le M 17 étaient trop grands
Ils glissaient sur leurs visages d'enfants
Et au-dessus de leurs mentons tremblants
On ne voyait plus que leurs bouches crispées d'effroi »
Dis-moi, M 16, M 17... De quoi s'agit-il ?
Oh, Lucien mon ami, tu sais combien les militaires ont le goût des matricules. Ce sont des sigles qui désignent en fait le casque d'acier M(odèle 19)16 et bien évidemment, M(odèle 19)17... Sans doute, a-t-on amélioré la chose ultérieurement... Encore que je n'en suis pas trop sûr, à voir la tronche des soldats du Reich lors des confrontations suivantes. Cela dit, cette histoire de casques d'acier, on va la retrouver dès après la guerre et avec une résonance terrible, puisque ce sont des « casques d'acier » qui seront à la base des milices hitlériennes... Comme quoi, il y a une certaine cohérence dans le fil de l’histoire et des histoires d'Allemagne.
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane