Devant la pâture déteinte et poussiéreuse,
À la chèvre aux oreilles miteuses,
La vieille tend une poignée de sel.
Fatigués d'attendre en vain,
Nous allons un peu plus loin,
Humer les odeurs putrides des ruelles
L'air de Naples, plus végétal, moisi, fongueux, de bousier
Et de New York, métal surchauffé, sueur acide de boursier
Avec toutes sortes de gens qui passent et s'entassent,
Dans une ville de bouteilles cassées, de cafards, de bas fléchés,
De pieds qui se déplacent parmi des détritus décomposés.
Une enfant mord une pomme ramassée dans la crasse,
En donnant des coups de pied à un chien noir.
La chèvre jette un regard et repart
Attentive à tout ce qui brille,
Au rat qui crie derrière la grille,
Au gargouillis de la vapeur,
Au bruit continu des moteurs,
À la corniche qui goutte
Au grillon que personne n'écoute
Au chat qui s'époumone d'amour
Et au chant funèbre et gastronomique
Des corbeaux et des vautours.
Anticipation quotidienne du destin atomique,
La chèvre s'avance l'œil fixe et indifférent,
Comme sur sa montagne d'épineuses.
En haut le ciel s'arrête soudainement
Entre des fumées jaunes et fuligineuses
Des linges pendus, des fils électriques,
Tout un monde pathétique
Inextricable, rugissant et hurlant,
Nature morte où se tiennent tranquilles
Et la chèvre irradiée, l'œil immobile.
Et le grillon et la pomme mangée et l'enfant
Et se désespère et se réjouit Gepetto
De la disparition et du retour de Pinocchio
Mais le trognon de la pomme est là, tout sourire
Il peut parfois valoir la peine de vivre et de mourir.
À la chèvre aux oreilles miteuses,
La vieille tend une poignée de sel.
Fatigués d'attendre en vain,
Nous allons un peu plus loin,
Humer les odeurs putrides des ruelles
L'air de Naples, plus végétal, moisi, fongueux, de bousier
Et de New York, métal surchauffé, sueur acide de boursier
Avec toutes sortes de gens qui passent et s'entassent,
Dans une ville de bouteilles cassées, de cafards, de bas fléchés,
De pieds qui se déplacent parmi des détritus décomposés.
Une enfant mord une pomme ramassée dans la crasse,
En donnant des coups de pied à un chien noir.
La chèvre jette un regard et repart
Attentive à tout ce qui brille,
Au rat qui crie derrière la grille,
Au gargouillis de la vapeur,
Au bruit continu des moteurs,
À la corniche qui goutte
Au grillon que personne n'écoute
Au chat qui s'époumone d'amour
Et au chant funèbre et gastronomique
Des corbeaux et des vautours.
Anticipation quotidienne du destin atomique,
La chèvre s'avance l'œil fixe et indifférent,
Comme sur sa montagne d'épineuses.
En haut le ciel s'arrête soudainement
Entre des fumées jaunes et fuligineuses
Des linges pendus, des fils électriques,
Tout un monde pathétique
Inextricable, rugissant et hurlant,
Nature morte où se tiennent tranquilles
Et la chèvre irradiée, l'œil immobile.
Et le grillon et la pomme mangée et l'enfant
Et se désespère et se réjouit Gepetto
De la disparition et du retour de Pinocchio
Mais le trognon de la pomme est là, tout sourire
Il peut parfois valoir la peine de vivre et de mourir.
envoyé par Marco Valdo M.I. - 22/12/2009 - 12:41
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Canzone léviane – La Chèvre Atomique – Marco Valdo M.I. – 2009
Cycle du Cahier ligné – 72
La Chèvre Atomique est la septante-deuxième chanson du Cycle du Cahier ligné, constitué d'éléments tirés du Quaderno a Cancelli de Carlo Levi.
En voilà bien une autre maintenant, dit Lucien l'âne en levant le museau pour saisir une branchette de saule. Ne me regarde pas comme çà, Marco Valdo M.I. mon ami, je ne fais rien de mal en croquant cette branchette de saule... Ne sais-tu pas les vertus analgésiques de Salix... J'ai pris froid et j'ai mal aux dents, voilà tout et je me soigne et d'ailleurs, mon ami Salix le saule (Salix, c'est son nom) m'a donné son accord et il est très heureux de pouvoir me soigner, tout en étant soigné lui-même, car il est bon pour lui qu'on lui taille un peu la chevelure. Cependant, ce qui me turlupine plus encore, c'est cette étrange chèvre atomique. Quel genre d'animal est-elle et que vient-elle faire ici et maintenant ? Raconte-le moi, je te prie, ou plutôt, parle-moi seulement de la chèvre et de ce qu'elle peut bien vouloir nous dire...
Ah, Lucien mon ami l'âne, laisse-moi te dire d'abord combien je suis content de te voir et combien je suis touché de te savoir dolent. Il est bien pénible d'avoir mal aux dents et ton ami Salix est très aimable de te laisser le scalper pour soigner ton mal et ce refroidissement hivernal... Avec cette grippe qui court on ne sait où, on ne sait jamais où çà va se terminer. Mais j'en viens à cette chèvre qui t'intrigue si puissamment... D'abord, rappelle-toi qu'elle se balade dans le monde mental de notre ami le prisonnier-guerrier-blessé-enfermé; ce monde où il se ressource et où se bâtit jour après jour, nuit après nuit, au cœur-même de son isolement forcé, l'univers qui lui permet de résister – souviens-toi : Ora e sempre : Resistenza ! – cette atmosphère oppressante qui, sans cet écart, le détruirait ou le réduirait à merci. Et forcément d'une certaine manière, cet univers, c'est le nôtre, mais dans ses quatre dimensions : les trois spatiales et la quatrième qui les situe, c'est-à-dire le temps. Ainsi, notre chèvre, celle qui te préoccupe, apparaît d'abord dans son monde d'origine : là-haut dans un alpage, près d'un village haut perché où une vieille femme lui donne du sel. Scène de la vie montagnarde. Puis, la voici partie dans le monde des hommes, un peu une chèvre exploratrice ou vagabonde... Mais il a dû se produire une sorte de court-circuit ou de collapse dans le temps, un événement terrible et voici notre chèvre dans un univers à la dérive, voilà notre chèvre irradiée... D'où son surnom de chèvre Atomique. Remarque que son nom n'apparaît que dans le titre; encore une bizarrerie... En fait, c'est la vieille qui l'a nommée ainsi : Atomique comme pour exorciser certaine menace. La bombe n'est pas tombée (partout), la guerre de Détroit n'a pas eu lieu, mais ce monde-là, le nôtre, est pourri quand même et il a quand même irradié Atomique.
Houlala, dit Lucien l'âne en tremblant de tout son poitrail et en toussant à grands hoquets, houlala, c'est terrifiant, on dirait qu'une guerre a tout bouleversé.
C'est ce qui s'est produit et se produit encore tous les jours, c'est la Guerre la plus sournoise, celle qu'on nous vend tous les jours entre deux réclames à la télévision sous le nom de paix. Tu sais bien, cette Guerre de Cent Mille Ans que les riches mènent contre les pauvres pour pouvoir maintenir et développer au-delà de tout leurs privilèges, leurs richesses, leurs pouvoirs et leurs petits et mesquins caprices.
Mais enfin, malgré cela, malgré la décrépitude de ce monde fuligineux et cacochyme, la chèvre Atomique n'abandonne pas la partie :
« le trognon de la pomme est là, tout sourire
Il peut parfois valoir la peine de vivre et de mourir. »
Un peu, dit Lucien l'âne, comme la Commune et Nicolas :
« Tout ça n'empêche pas Nicolas
Qu' la Commune n'est pas morte.
Tout ça n'empêche pas Nicolas
Qu' la Commune n'est pas morte! »
En effet, dit Marco Valdo M.I., la Commune n'est pas morte et nous non plus d'ailleurs : le prisonnier-blessé-malade, toi, moi, Salix, Atomique, Nicolas et le trognon de pomme....
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane