La belle Guerre

Dialogue Maïeutique



Mon ami Lucien l’âne, j’espère que tu te souviens de ce général de Pierre Desproges qui disait : « Ce qu’il leur faut, c’est une bonne guerre ! », car ici ce sont des demoiselles qui disent : « Ce qu’il leur faut, c’est une belle guerre ! », imaginant par là trouver à leur portée une belle armée de dons juans.

Oh, dit Lucien l’âne, je m’en souviens très bien de ce général de la Minute de Monsieur Cyclopède et je ne peux que constater que le romantisme perce facilement toutes les lignes rouges ; mais il n’y a là rien qui m’étonne. Certaines dames ont toujours raffolé de l’uniforme et ressenti certains frissons à l’idée du danger et à l’odeur lointaine du sang. Elles doivent avoir en elles conservé une belle dose d’animalité et je ne sais quel réflexe barbare. « Une belle Guerre », a-t-on idée ?

Oh, dit Marco Valdo M.I., il n’y a pas que les demoiselles esseulées pour avoir de telles idées ; en Zinovie, le Guide lui-même pense obstinément cela. Cet homme aime la guerre, surtout quand ce sont les autres qui s’y font tuer. En quelque sorte, il l’aime, mais par procuration. D’ailleurs, il doit mesurer sa propre importance, à celle de ses guerres, car il en mène plusieurs en catimini, même si certaines sont en latence.

Est-ce là tout ce que raconte la chanson, demande Lucien l’âne ; ou bien raconte-t-elle d’autres choses ? Bref, donne-moi des détails.

Eh bien, dit Marco Valdo M.I., je m’en vas te satisfaire. D’abord, laisse-moi te confirmer que cette histoire de « belle guerre » est bien le thème central de cette canzone. Cela dit, il faut sérier un peu les choses. Le premier douzain examine deux choses : un, l’aversion grandissante de la population pour cette « belle guerre » et deux, le recours à des « soldats supplémentaires », à qui on a promis une vie confortable et bien rémunérée,

« Alors, on s’en va chercher,
Aux coins perdus de la Terre,
Des soldats supplémentaires. »

et pas toujours prévenus de ce qui les attend en Zinovie.

« Certains venus de pays chauds,
Découvrent notre bel hiver ;
D’autres de pays froids,
Découvrent notre belle guerre. »

Ça m’a tout l’air d’une fameuse tromperie, d’une escroquerie d’envergure, dit Lucien l’âne.

C’est exactement ça, dit Marco Valdo M.I., et ces malheureux « travailleurs » se retrouvent au front et pour une bonne part d’entre eux se font tuer très rapidement. C’est une chance inouïe qui permet à certains d’en sortir indemnes. Le deuxième douzain est une lettre qu’un ou des citoyens de Zinovie adressent au Guide pour lui dire ce qu’ils pensent de sa lubie impériale et guerrière.

« Cher Chef de toutes les Zinovies,
Mourir pour tes lubies
Est vraiment une idiotie.
On préfère garder notre vie. »

J’espère pour eux, dit Lucien l’âne, qu’ils ont bien mesuré le risque de telle formulation et qu’ils ont pris la précaution de garder l’incognito.

Il vaudrait mieux, en effet, dit Marco Valdo M.I. et je pense qu’ils ont pris cette précaution. Dans le troisième douzain, on entend enfin ces jeunes filles pleines de dévotion militaire. Que font -elles ? Voici :

« Sur les sites relais de l’armée,
Cherchent ces dons juans si forts,
Si beaux en tenue de combat ;
Elles les reluquent du haut en bas,
Elles les dévorent, elles les adorent. »

Que disent-elles ? Voici  encore :

« Valeureux guerrier, écris-moi !
Viens-vite, je t’attends déjà. »

Évidemment, dit Lucien l’âne, elles sont pleines d’enthousiasme ; encore faut-il que le don juan revienne complet du combat. Et que parmi toutes ses fans, il retienne celle-là. Mais il y a un quatrième douzain, que dit-il ?

Le quatrième douzain, répond Marco Valdo M.I., voit le retour de Grand-Mère qui cette fois encore vient nous parler de la guerre que les filles et les femmes d’Iran mènent contre la dictature des Vestales poilues. Cette fois-ci, elle évoque une femme qui séjourne en prison depuis des années et qui a obtenu – tellement son état de santé s’est détérioré – de pouvoir obtenir une sorte de « congé médical ». Pour ses quelques semaines de repos, elle a refusé de se plier aux conditions humiliantes et est sortie tête nue, refusant le voile obligatoire, et en réaffirmant sa volonté combative.

« D’aller tête nue sur les chemins,
De défendre les droits humains,
De refuser la peine de mort,
De refuser la soumission et le voile encore. »

Mais elle sait très bien que ce n’est qu’un intermède et que bientôt, ils la renfermeront au fond de sa prison.

Moi, dit Lucien l’âne, en entendant tout ça, je pense qu’on a la chance de ne pas être là-bas ou en Zinovie, car il y a bien longtemps qu’ils nous auraient fait taire. Mais voilà d’être ici nous permet de relayer toutes ces voix ; pour le reste, tissons le linceul de ce vieux monde délétère, mercenaire, précaire et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane