Combien d’entre nous ont vu
Le vieux qui passe dans la rue,
Épouvantail tout gris
Que la cité a exclu.
La rue et les gens et le monde
Vont bien trop vite pour lui.
Dans ses yeux absents d’enfant
Ne passe que l’effroi du temps.
Pour descendre et remonter
Six étages d’escaliers,
Il faut l’éternité.
Quelle faute a-t-il pu commettre,
Le vieux tout gris qui traîne
Ses vieux membres rassis ?
Combien d’entre nous ont fait
Quoi que ce soit de palpable :
Un geste, un mot, un sourire
Pour le raccrocher à nous ?
La vieillesse nous fait frémir,
On ne veut pas croire au pire,
Nos yeux ne retiennent d’elle
Qu’une image irréelle.
Mon vieux à moi, tous les mois,
Va à tout petits pas
Empocher sa pension.
Il se ménage au retour
Un détour insolite
Chez le glacier du coin.
Quand je serai vieux et tout seul,
Demain ou après demain,
Je voudrais comme celui-là,
Au moins une fois par mois,
Avec mes sous, si j’en ai,
M’acheter une glace à deux boules
Et rêver sur leur saveur
À un monde rempli d’enfants.
Mais peut-être que pour nous,
Nous les vieux de demain,
La vie aura changé ;
En s’y prenant maintenant,
Nous-mêmes et sans attendre,
À refaire le présent
Je donne à ceux qui sourient
Et qui ont bien le droit de sourire
Rendez-vous dans vingt, trente ans,
Pour reparler du bon temps.
Le vieux qui passe dans la rue,
Épouvantail tout gris
Que la cité a exclu.
La rue et les gens et le monde
Vont bien trop vite pour lui.
Dans ses yeux absents d’enfant
Ne passe que l’effroi du temps.
Pour descendre et remonter
Six étages d’escaliers,
Il faut l’éternité.
Quelle faute a-t-il pu commettre,
Le vieux tout gris qui traîne
Ses vieux membres rassis ?
Combien d’entre nous ont fait
Quoi que ce soit de palpable :
Un geste, un mot, un sourire
Pour le raccrocher à nous ?
La vieillesse nous fait frémir,
On ne veut pas croire au pire,
Nos yeux ne retiennent d’elle
Qu’une image irréelle.
Mon vieux à moi, tous les mois,
Va à tout petits pas
Empocher sa pension.
Il se ménage au retour
Un détour insolite
Chez le glacier du coin.
Quand je serai vieux et tout seul,
Demain ou après demain,
Je voudrais comme celui-là,
Au moins une fois par mois,
Avec mes sous, si j’en ai,
M’acheter une glace à deux boules
Et rêver sur leur saveur
À un monde rempli d’enfants.
Mais peut-être que pour nous,
Nous les vieux de demain,
La vie aura changé ;
En s’y prenant maintenant,
Nous-mêmes et sans attendre,
À refaire le présent
Je donne à ceux qui sourient
Et qui ont bien le droit de sourire
Rendez-vous dans vingt, trente ans,
Pour reparler du bon temps.
inviata da Marco Valdo M.I. - 7/6/2022 - 20:05
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Chanson française – Le Vieux – François Béranger – 1974
Vincent Van Gogh – 1890
« La vieillesse est un naufrage », Lucien l’âne mon ami, écrivait De Gaulle à propos de Pétain. C’était dans le contexte des Grandes Guerres, où le Pétain vainqueur de Verdun capitulait devant les exigences de Hitler, vingt ans plus tard. La formule datait déjà d’un siècle, elle était juste, on l’avait prise à Chateaubriand. Cette façon de voir les choses et la vieillesse en particulier est aussi celle qu’entrevoit François Béranger en évoquant le cheminement du retraité vers l’inévitable échéance de la déchéance. Son vieux à lui n’a cependant pas connu les honneurs de la Guerre, c’est juste un homme qu’on croise dans les rues de banlieue en fin d’après-midi, quelquefois avec un chien qui l’emmène à la promenade du soir. C’est terrible chanson où Béranger règle certain compte avec la vie et il a parfaitement raison, car avec cette vieillesse-là, la vie a tort – entièrement.
Ah, dit Lucien l’âne, interrogatif. La vie a tort ? Comme ça ? J’aimerais que tu m’expliques.
En fait, Lucien l’âne mon ami, Béranger ne porte pas une accusation directe, péremptoire ; il propose une réflexion douce-amère qui est précisément celle qui étreint les vieux noyés dans les solitudes urbaines. C’est de ces vieux-là, du coin de la rue, du quartier, de la cité qu’elle parle sa chanson, de ces vaincus en retraite de La Guerre de Cent mille ans que les riches font aux pauvres jusqu’au bout du bout – façon de marquer la différence (sinon, ça servirait à quoi d’être riche ?). Et il est bon et revigorant d’écouter en même temps de l’autre oreille la chanson de La Vieille nettement plus combative que nous avait servie Patrick Font, quelques années plus tard.
Ah, dit Lucien l’âne, le doux amer est une arme terrible, elle s’enfonce profondément à cœur fendre et puis, fait ressentir l’odiosité qui parfume le destin de ces vieux-là qu’on retrouve éteints dans leur chez-soi – un deux-pièces-cuisine, une pièce. Ces fins amères ont un drôle de goût et qu’y faire si tel est le bout du chemin. J’aime quand même le détour par le glacier du coin ; ça console – un instant. Alors, tissons de notre rage douce-amère le linceul de ce vieux monde indigne, incorrect, incivil et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane