Voir les personnes en personne,
Leur parler, les écouter.
Une demi-heure de rencontre
Au parloir parmi des étrangers
Est plus agréable que mille lettres.
Cette année, on ne pourra pas fêter
Tous ensemble sous le palmier,
Dans la lumière heureuse de l’été,
L’anniversaire de maman.
C’est assez désolant.
Je m’étais remis au latin,
Je lisais César, Cicéron, et soudain
Voici les Allemands philosophes :
Leibniz, Kant et Fichte.
On s’y trouve sur une montagne très haute.
Il me faudrait des livres
Sur la peinture impressionniste.
Si c’était trop cher de les acheter,
Contacter la directrice de la bibliothèque
D’Histoire de l’Art de l’Université.
Là, il y en a beaucoup à trouver
Et on peut les emprunter.
Si on pouvait me confiner
Là où il y a une académie ou une université,
Mon travail serait facilité.
Qu’il est absurde de penser
Que le peintre vit isolé.
Il lui faut une ambiance,
D’autres artistes pour échanger
Des idées, des connaissances.
Leur parler, les écouter.
Une demi-heure de rencontre
Au parloir parmi des étrangers
Est plus agréable que mille lettres.
Cette année, on ne pourra pas fêter
Tous ensemble sous le palmier,
Dans la lumière heureuse de l’été,
L’anniversaire de maman.
C’est assez désolant.
Je m’étais remis au latin,
Je lisais César, Cicéron, et soudain
Voici les Allemands philosophes :
Leibniz, Kant et Fichte.
On s’y trouve sur une montagne très haute.
Il me faudrait des livres
Sur la peinture impressionniste.
Si c’était trop cher de les acheter,
Contacter la directrice de la bibliothèque
D’Histoire de l’Art de l’Université.
Là, il y en a beaucoup à trouver
Et on peut les emprunter.
Si on pouvait me confiner
Là où il y a une académie ou une université,
Mon travail serait facilité.
Qu’il est absurde de penser
Que le peintre vit isolé.
Il lui faut une ambiance,
D’autres artistes pour échanger
Des idées, des connaissances.
inviata da Marco Valdo M.I. - 23/8/2019 - 21:10
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Lettre de prison 41
19 juillet 1935
Tout compte fait, Lucien l’âne mon ami, Descartes avait raison : l’être humain pense, l’homme est un être pensant. Enfin, la plupart du temps ; certes, il y a des exceptions ; je ne citerai pas de nom, mais on en connaît tous. Tout ça pour dire que le prisonnier Carlo Levi pense et d’ailleurs, il n’a pas grand-chose d’autre à faire.
Je me demande, réplique Lucien Lane, ce qui est le pire pour celui qui est ainsi enfermé en isolement pour une durée indéterminée ; Penser ou ne pas penser ? Telle est la question.
Face au temps qui passe ou qui parfois, donne l’impression de s’arrêter, de plus vouloir passer, il y a – quand on est seul dans une cellule – deux grandes manières d’affronter l’épreuve du temps vide, de traverser ce désert. La première consiste à entrer dans une sorte de léthargie, y compris mentale et dans ce coma où on s’oublie, ou on perd le sens de soi et la notion du temps ; littéralement, on ne voit pas le temps passé.
Oh, dit Lucien l’âne, je connais ça, c’est comme un trou noir ; c’était le sentiment de Juliette au moment où elle s’efforçait d’avaler le contenu de la fiole. C’est la plongée dans un abysse, c’est la descente au tombeau. On se met en sommeil, on se perd en catalepsie.
Exactement, reprend Marco Valdo M.I., on s’oublie et on oublie tout et vraisemblablement, après – s’il y a un après –, on met la pensée hors-jeu, on cesse d’exister, on cesse d’être, on se pétrifie, on s’immobilise ; dès lors, on ne se souviendra de rien. C’est une solution de survie. Mais comme je te l’ai déjà dit, il y a une autre voie, une autre possibilité.
Sans doute, dit Lucien l’âne, mais j’aimerais beaucoup que tu la détailles.
Comme tu peux toi-même le penser, Lucien l’âne mon ami, la deuxième voie qui s’ouvre au prisonnier isolé, c’est – tout au contraire – de se mettre à penser, à développer par la pensée un autre univers, un discours qui lui tienne compagnie, de se mettre en somme à être l’animateur de sa propre vie. Il peut alors lui donner des dimensions extraordinaires, il peut la modeler à sa guise, il peutconcevoir mille projets, leur donner toute leur envergure en attendant de pouvoir un jour les appliquer. En clair, le prisonnier met en scène et prépare son futur. Il se dit je vais faire ceci, je vais faire cela ; Ces moments où la pensée dynamise la vie morose de la prison sont des moments intenses ; ils réactivent le mental et barrent le chemin à la mélancolie, à l’angoisse et à l’ennui. Ils irriguent les heures et empêchent le dessèchement de l’être. Mais comme tu le verras dans cette lettre, le Dr. Levi organise aussi le temps présent : il réclame des livres, il se remet au latin, plus exactement, à la lecture des auteurs latins ; il lit les philosophes allemands du siècle précédent. Bref, il ne se laisse pas entraîner à je ne sais quelle inertie intellectuelle. Cesser d’activer la pensée, cesser de penser, ce serait s’éteindre à petit feu.
À t’entendre, Marco Valdo M.I., il a l’air de se replier sur lui-même.
En effet, reprend Marco Valdo M.I., et c’est indispensable puisqu’à ce moment de sa vie, isolé dans une cellule, sans autre contact que ses juges et ses policiers qui l’interrogent, ou les rares visites de ses familiers, cette autarcie est l’état de fait nécessaire de son quotidien. Il y a bien les lettres, comme celle-ci, mais il n’y en a qu’une par semaine et sur un papier fort réduit et les réponses se font attendre ; et toute cette correspondance est marquée par l’œil vigilant de la censure. Et puis, ce ne sont que des lettres, elles manquent de corps. Oh, il le sait bien quand il dit, dès le début de sa lettre :
Leur parler, les écouter.
Une demi-heure de rencontre
Au parloir parmi des étrangers
Est plus agréable que mille lettres. »
et il sait bien aussi que son art de peintre est nourri de la compagnie des autres peintres :
D’autres artistes pour échanger
Des idées, des connaissances. »
En attendant, il est dans cet isolement et il lui faut quand même se nourrir du temps qui passe et à toute force, éviter que ce soit lui – le temps – qui le ronge et le dévore.
Nous aussi, Marco Valdo M.I. mon ami, nous les ânes, il nous faut vivre et penser et nous ne pouvons dissocier l’un de l’autre ; autrement dit, la pensée et le corps ne font qu’un comme le démontre le Penseur du sculpteur Rodin, qui est l’homme en train de penser – sans ce corps pensant, cette sculpture serait impossible. Pour nous les ânes, cesser de penser, c’est – littéralement – cesser de vivre. Ainsi va notre destinée. Maintenant, il nous faut, toi et moi, tisser le linceul de ce vieux monde acéphale, ignare, impensant et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane