Outre le maillot, une tenue de toile,
Des shorts blancs, des chaussures de toile,
Des objets de toilette, ma blouse de peintre,
Le minimum indispensable
Qui ne prenne pas de place.
Il ne faut pas vous inquiéter,
Quand je saurai la décision
Pour la relégation,
Je vous télégraphierai.
Ainsi, vous saurez.
En attendant, je rédige
Mon livre sur la peinture
Et même, sur d’autres choses.
Écrire est une autre aventure
Que la peinture.
Miracle de mon incarcération,
Avec du papier et un crayon,
La peinture interdite
Fait de paroles manuscrites
Des couleurs en écrivant les sons.
Je ne suis pas expert en écriture.
J’écris comme je peins :
Un jour un mot, un autre le lendemain.
Si ça dure,
Je ferai un livre, c’est sûr.
Ne vous en faites pas !
Dans le pire des cas,
Où que ce soit
Qu’on m’enverra,
Je serai toujours moi.
Des shorts blancs, des chaussures de toile,
Des objets de toilette, ma blouse de peintre,
Le minimum indispensable
Qui ne prenne pas de place.
Il ne faut pas vous inquiéter,
Quand je saurai la décision
Pour la relégation,
Je vous télégraphierai.
Ainsi, vous saurez.
En attendant, je rédige
Mon livre sur la peinture
Et même, sur d’autres choses.
Écrire est une autre aventure
Que la peinture.
Miracle de mon incarcération,
Avec du papier et un crayon,
La peinture interdite
Fait de paroles manuscrites
Des couleurs en écrivant les sons.
Je ne suis pas expert en écriture.
J’écris comme je peins :
Un jour un mot, un autre le lendemain.
Si ça dure,
Je ferai un livre, c’est sûr.
Ne vous en faites pas !
Dans le pire des cas,
Où que ce soit
Qu’on m’enverra,
Je serai toujours moi.
inviata da Marco Valdo M.I. - 23/7/2019 - 17:58
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Lettre de prison 38
15 juillet 1935
Lucien l’âne mon ami, je te rappelle qu’à la différence des ânes qui se promènent toujours à poils, les humains, gens fragiles, se vêtent et se chaussent ; ils se lavent aussi. Du moins, la plupart d’entre eux et la plupart du temps. Mais, évidemment, il y a des exceptions. Il leur faut donc – à la plupart – tout un équipement adapté.
Oui, je sais tout cela, dit Lucien l’âne, mais encore ?
Rien, réponde Marco Valdo M.I., si ce n’est que c’est le début de la chanson. J’admets que c’est assez banal, mais la vie est faite pour sa plus grande part de choses fort banales – et la vie du prisonnier, plus encore. De plus, comme notre bon Dr. Levi ne sait toujours pas où il va être confiné, il lui faut bien dire quelque chose dans sa lettre, il lui faut parler d’autre chose. Sinon, que dire dans une lettre, que faire dire à la feuille blanche ? Et c’est ainsi qu’on sort de la banalité des propos quand Carlo Levi, qui était médecin, qui s’était voulu peinte et l’était assurément, par un détour inattendu révèle ses débuts d’écrivain. Pour un peu, je dirais qu’on assiste à la naissance de l’écrivain au travers de son travail suspendu de peintre ; dès lors, il n’y a rien d’étonnant à ce que Carlo Levi écrira avec des images et des couleurs à la manière d’un peintre ; littéralement, il voit le monde. Il dit dans sa lettre :
Quel mélange des sens ! En somme, dit Lucien l’âne, pour Levi, l’écriture, c’est faire de la peinture avec des mots des sons et créer un univers visuel avec des sons transcrits en code. J’ai comme l’idée que pour lui, les mots sont des couleurs.
Exactement, dit Marco Valdo M.I. ; et c’est une fameuse découverte pour le peintre privé de peinture. ; toute une aventure, mais différente pourtant :
Que la peinture. »
Il ne pensait pas si bien dire, ajoute Lucien l’âne, car son aventure en littérature, son voyage en écriture, qui commence avec son « Christ s’est arrêté à Eboli » – le Christ, mais pas Carlo Levi – fera presque oublier le peintre et ces centaines de toiles.
On voit là, poursuit Marco Valdo M.I., soudain surgir d’un néant qui lui est imposé, le Carlo Levi qui sera écrivain, journaliste et à sa manière, ethnographe, anthropologue, sociologue – une tout autre manière de peindre. Mais, certainement, il était conscient de ce qui se passait, quand il dit :
J’écris comme je peins :
Un jour un mot, un autre le lendemain.
Si ça dure,
Je ferai un livre, c’est sûr. »
Et, il avait tout autant conscience de sa propre cohérence, indestructible, de sa personnalité, de son individualité :
Dans le pire des cas,
Où que ce soit
Qu’on m’enverra,
Je serai toujours moi. »
Oh, dit Lucien l’âne, on le disait « solaire » et comme on peut tous s’en persuader sans peine, on ne peut enfermer le soleil.
C’est, Lucien l’âne mon ami, une bonne façon de comprendre ce titre « Je serai toujours moi », dont j’invite chacun à faire sa devise. C’est le sens de l’homme libre face à l’enrégimentement tant prisé par le régime, par tous les régimes.
C’est le sens de la dignité qui le mènera à résister, résister encore durant tout le temps où fleurit le fascisme. Victor Hugo disait la même chose :
Sans chercher à savoir et sans considérer
...
S’il en demeure dix, je serai le dixième ;
Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »
(Jersey, 2 décembre 1852)
Et nous, conclut Lucien l’âne, moins solaires, fort banals, mais obstinés quand même, nous tissons le linceul de ce vieux monde enrégimenté, obéissant, majoritaire et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane