Lamme fera donc des couques et des beignets.
Till dit : « Il les mangera au lieu de les vendre.
Le smitte dit : « Rien n’est encore prêt
Et la grande besogne ne peut attendre. »
« J’ai faim », dit Lamme.
« Il y a du pain », dit le smitte.
« Sans beurre ? », demande Lamme.
« Sans beurre. », dit le smitte.
À la nuit, le smitte sort les armes :
Vingt arquebuses à réparer,
Cinquante lames à aiguiser.
Aux yeux de Lamme coulent les larmes.
Lamme dit : « Smitte, tu dédaignes ton corps
Et crois-moi, en vérité, tu as tort.
Il a besoin de repos autant que de pain,
De fèves, de bœuf, de bière et de vin.
Et nous sommes fous, nous, hommes de peu
De nous crever les yeux
Pour tous ces grands de la terre
Qui font entre eux la guerre.
Ils invoquent Dieu, la religion, les mystères
Dont en vérité, ils n’ont rien à faire
Et nous non plus, d’ailleurs
Qui supportons ces malheurs.
Regardez les champs, les prés ;
Regardez les moissons, les vergers.
Chasse, pêche, mer, terre :
Tout est à eux sans rien faire.
Et vous, vous vivez de pain et d’eau ;
Vous travaillez à vous casser le dos
Et quand vous mourez, sans vergogne,
Ils ignorent vos charognes. »
« Ho, dit le smitte, parle moins haut !
Certes, tout ce que tu dis n’est pas faux,
Mais le Prince de Liberté sacrifie
Ses biens et sa vie pour chasser la tyrannie. »
Pendant trois nuits, Till et Lamme
Fondent des balles et fourbissent des lames
Jusqu’à l’aube. Puis, la quatrième, les deux amis
S’en vont pour Gand au cœur de la nuit.
Till dit : « Il les mangera au lieu de les vendre.
Le smitte dit : « Rien n’est encore prêt
Et la grande besogne ne peut attendre. »
« J’ai faim », dit Lamme.
« Il y a du pain », dit le smitte.
« Sans beurre ? », demande Lamme.
« Sans beurre. », dit le smitte.
À la nuit, le smitte sort les armes :
Vingt arquebuses à réparer,
Cinquante lames à aiguiser.
Aux yeux de Lamme coulent les larmes.
Lamme dit : « Smitte, tu dédaignes ton corps
Et crois-moi, en vérité, tu as tort.
Il a besoin de repos autant que de pain,
De fèves, de bœuf, de bière et de vin.
Et nous sommes fous, nous, hommes de peu
De nous crever les yeux
Pour tous ces grands de la terre
Qui font entre eux la guerre.
Ils invoquent Dieu, la religion, les mystères
Dont en vérité, ils n’ont rien à faire
Et nous non plus, d’ailleurs
Qui supportons ces malheurs.
Regardez les champs, les prés ;
Regardez les moissons, les vergers.
Chasse, pêche, mer, terre :
Tout est à eux sans rien faire.
Et vous, vous vivez de pain et d’eau ;
Vous travaillez à vous casser le dos
Et quand vous mourez, sans vergogne,
Ils ignorent vos charognes. »
« Ho, dit le smitte, parle moins haut !
Certes, tout ce que tu dis n’est pas faux,
Mais le Prince de Liberté sacrifie
Ses biens et sa vie pour chasser la tyrannie. »
Pendant trois nuits, Till et Lamme
Fondent des balles et fourbissent des lames
Jusqu’à l’aube. Puis, la quatrième, les deux amis
S’en vont pour Gand au cœur de la nuit.
inviata da Marco Valdo M.I. - 24/7/2018 - 22:49
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Ulenspiegel le Gueux – 72
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – III, XXIX)
Dialogue Maïeutique
Lamme philosophe ?, s’étonne Lucien l’âne. Voilà qui tombe bien pour un dialogue maïeutique. Cependant, je n’aurais jamais imaginé que Goedzak s’inscrive dans l’Histoire de la Philosophie. Si c’est le cas, il est philosophe de ma même manière que je le suis : c’est un philosophe de grand chemin.
En ce cas, Lucien l’âne mon ami, il rejoindrait François Villon et en d’autres temps, tu le sais, il aurait élégamment figuré parmi les participants de l’école péripatéticienne. Plus sérieusement, la chanson ne dit pas que Lamme est un philosophe, mais bien qu’il philosophe, ce qui revient à dire qu’il émet des considérations sur l’état du monde et sur la situation des gens dans ce monde.
Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, j’avais perçu cette nuance et j’ai bien conscience que notre Goedzak n’a rien d’un de ces philosophes professionnels qui s’enferrent dans un monde philosophique désincarné qui s’éloigne aux confins de l’univers. C’est justement pour ça que j’avais précisé qu’il était un philosophe de grand chemin. Cela dit, on découvre ici qu’il y a au moins deux univers philosophiques et qu’ils ont tendance à s’écarter l’un de l’autre. Mais revenons à la chanson et à la philosophie selon Lamme.
Je ne te ferai pas l’ennui de détailler et d’analyser les propos de Goedzak, tu les trouveras excellemment rapportés dans la canzone et celui qui veut en savoir plus pourra toujours se reporter à la Légende, telle qu’elle est rapportée par Charles De Coster. Quant à les analyser, je laisse le soin à chacun de le faire, car je n’ai foutrement pas l’âme, ni les qualités d’un décortiqueur. Pourtant, je dirai encore deux mots relativement au débat qui s’instaure entre Lamme et le smitte qui situe le nœud de la guerre entre le refus de faire la guerre pour le profit des puissants et des riches et la nécessité de faire la guerre pour se défendre d’une agression guerrière et pour faire advenir le règne de liberté.
Certes, Marco Valdo M.I. mon ami, je te dirais – sans pour autant philosopher exagérément – que c’est le sens de La Guerre de Cent mille ans où certains (les riches, les puissants et leurs affidés) ont déclenché la guerre et la mènent sans répit afin de maintenir leur domination et tout ce qui s’ensuit et d’autres, mènent une guerre défensive pour mettre fin à la guerre elle-même. C’est aussi le sens du paradoxe pacifique : Guerre à la guerre ! ». Et je vois que dans la chanson, le dialogue entre Lamme et le smitte pose cette alternative à sa manière. Quant à nous, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde guerrier, armé, massacreur et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane