1. La Complainte des Tisserandes (2011)
Nous tissons la soie tout le jour
Et jamais n'en sommes mieux vêtues
À jamais pauvres et nues
Nous avons faim et soif toujours.
Jamais nous ne pouvons gagner
Assez pour déjeuner
On a à peine notre content
De pain pour manger décemment.
Peu au matin et le soir moins
Et jamais de ses mains
Aucune de nous n'a pour vivre
Assez de deniers pour bien vivre
Et pour cela, nous ne pouvons pas
Avoir à suffisance viande et drap
Car qui gagne à la semaine
Ses sous n'est pas hors de peine
Et nous vivons en grande pauvreté
Quand est riche de nous avoir volé
Celui pour qui nous travaillons
Et des nuits entières, nous veillons.
Chaque jour pour gagner plus encore
Il menace de nous frapper le corps
Et les membres si nous nous reposons
Pour que reposer un peu jamais n'osions.
2. Chanson de Chrétien de Troyes (vers 1180)
Tousjours mais de soie ouverrons,
Ne ja ne serons mix vestues;
Tousjours serons povres et nues,
Et tousjours fain et soif arons;
Ja tant gaaignier ne sarons
Que mix en ayons au mengier.
Du pain avons a grant dangier,
Petit au main et au soir mains,
Que ja de l'oevre de ses mains
N'ara chascune pour lui vivre
Que .iiii. deniers de la livre;
Et de che ne porrons nous pas
Assés avoir viande et dras,
Car qui gaaigne la semaine
Vint sols n'est mie hors de paine.
Et bien sachiés vous a estours
Que il n'i a chele de nous
Que il n'i a chele de nous
Qu'il ne gaaigne .xx. sols ou plus.
De che seroit riches uns dus!
Et nous sonmes en grant poverte,
S'est riches de nostre deserte
Chil pour qui nous nous traveillons.
Des nuis grant partie veillons
Et les jours tous pour gaagnier,
Qu'il nous manache a mehaignier
Des menbres quant nous reposons;
Et pour che reposer n'osons.
3. La chanson de la chemise (Neuf cents ans plus tard - environ)
Toujours draps de soie tisserons
Et n'en serons pas mieux vêtues,
Toujours serons pauvres et nues
Et toujours faim et soif aurons;
Jamais tant gagner ne saurons
Que mieux en ayons à manger.
Du pain en avons sans changer
Au matin peu et au soir moins;
Car de l'ouvrage de nos mains
N'aura chacune pour son vivre
Que quatre deniers de la livre,
Et de cela ne pouvons pas
Assez avoir viande et draps;
Car qui gagne dans sa semaine
Vingt sous n'est mie hors de peine...
Et nous sommes en grand misère,
Mais s'enrichit de nos salaires
Celui pour qui nous travaillons;
Des nuits grand'partie veillons
Et tout le jour pour y gagner.
On nous menace de rouer
Nos membres, quand nous reposons:
Aussi reposer nous n'osons.
Nous tissons la soie tout le jour
Et jamais n'en sommes mieux vêtues
À jamais pauvres et nues
Nous avons faim et soif toujours.
Jamais nous ne pouvons gagner
Assez pour déjeuner
On a à peine notre content
De pain pour manger décemment.
Peu au matin et le soir moins
Et jamais de ses mains
Aucune de nous n'a pour vivre
Assez de deniers pour bien vivre
Et pour cela, nous ne pouvons pas
Avoir à suffisance viande et drap
Car qui gagne à la semaine
Ses sous n'est pas hors de peine
Et nous vivons en grande pauvreté
Quand est riche de nous avoir volé
Celui pour qui nous travaillons
Et des nuits entières, nous veillons.
Chaque jour pour gagner plus encore
Il menace de nous frapper le corps
Et les membres si nous nous reposons
Pour que reposer un peu jamais n'osions.
2. Chanson de Chrétien de Troyes (vers 1180)
Tousjours mais de soie ouverrons,
Ne ja ne serons mix vestues;
Tousjours serons povres et nues,
Et tousjours fain et soif arons;
Ja tant gaaignier ne sarons
Que mix en ayons au mengier.
Du pain avons a grant dangier,
Petit au main et au soir mains,
Que ja de l'oevre de ses mains
N'ara chascune pour lui vivre
Que .iiii. deniers de la livre;
Et de che ne porrons nous pas
Assés avoir viande et dras,
Car qui gaaigne la semaine
Vint sols n'est mie hors de paine.
Et bien sachiés vous a estours
Que il n'i a chele de nous
Que il n'i a chele de nous
Qu'il ne gaaigne .xx. sols ou plus.
De che seroit riches uns dus!
Et nous sonmes en grant poverte,
S'est riches de nostre deserte
Chil pour qui nous nous traveillons.
Des nuis grant partie veillons
Et les jours tous pour gaagnier,
Qu'il nous manache a mehaignier
Des menbres quant nous reposons;
Et pour che reposer n'osons.
3. La chanson de la chemise (Neuf cents ans plus tard - environ)
Toujours draps de soie tisserons
Et n'en serons pas mieux vêtues,
Toujours serons pauvres et nues
Et toujours faim et soif aurons;
Jamais tant gagner ne saurons
Que mieux en ayons à manger.
Du pain en avons sans changer
Au matin peu et au soir moins;
Car de l'ouvrage de nos mains
N'aura chacune pour son vivre
Que quatre deniers de la livre,
Et de cela ne pouvons pas
Assez avoir viande et draps;
Car qui gagne dans sa semaine
Vingt sous n'est mie hors de peine...
Et nous sommes en grand misère,
Mais s'enrichit de nos salaires
Celui pour qui nous travaillons;
Des nuits grand'partie veillons
Et tout le jour pour y gagner.
On nous menace de rouer
Nos membres, quand nous reposons:
Aussi reposer nous n'osons.
inviata da Marco Valdo M.I. - 12/3/2011 - 10:25
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Chanson française – Complainte des tisserandes – Marco Valdo M.I. – 2011
Voir aussi la page Toz jorz dras de soie tristrons de Chrétien de Troyes
La « Complainte des tisserandes » est tirée d'une vieille chanson connue aussi sous le nom de « Chanson de la chemise » ; cette chanson se trouve dans un des premiers romans de la littérature française : Yvain ou le chevalier au lion, un des romans de la geste arthurienne, avec Lancelot et Perceval. L'auteur en est Chrétien de Troyes qui vécut de 1135 à 1190 (environ), soit pour fixer les choses, environ 130 ans avant Dante, plus d'un long siècle avant la Divine Comédie. Et pourtant, son œuvre (et même ce qu'il en reste encore aujourd'hui) est considérable et est un des fondements de la langue française. Et c'est déjà une chanson... Entendons-nous bien, Lucien l'âne mon ami, la geste arthurienne, dont il écrivit le meilleur, est en elle-même une chanson et la « Complainte des tisserandes » en est une aussi. Et quelle chanson... L’aventure n'est pas banale... Je t'en donne trois versions : celle en langue de Chrétien de Troyes (vers 1180), celle d'une traduction du siècle dernier et une que je viens de faire pour l'occasion. Toutes en langue française... et si différentes, tout en disant la même chose.
Ah, si j'avais su, lorsque je passais en Champagne de ce temps-là que ce Chrétien que j'avais sur mon dos pour une étape mémorable, si j'avais su qu'il t'intéresserait tant, j'aurais fait plus attention à ce qu'il me disait de lui... Mais, âne que je suis, j'écoutais seulement ces histoires de chevaliers et de batailles qu'il me contait tout au long du chemin. Ah, si mes oreilles avaient pu enregistrer tout cela dans mes sabots, ah, si mes yeux avaient pu filmer et garder dans ma queue, par exemple, tout ce qu'ils voyaient... mais voilà, je n'en ai que de vagues souvenirs... Faut dire que c'était il y a longtemps... Cela dit, c'était un gars sympathique et nous fîmes une belle balade ensemble en croisant sur la colline entre Ay et Reims, il faut que tu le saches, un certain Poncelet, un bien aimable berger qui transhumait ce jour-là et que je soupçonne fort d'être de tes aieux.
C'est tout à fait possible pour ce qui est de mon aïeul, Lucien l'âne mon ami, et pour ce qui est de Chrétien de Troyes, dont on ne sait réellement qui il fut, hors ses livres, il mérite assurément qu'on relise ses chansons. Et spécialement, celle-ci qui nous intéresse tout spécialement. Tout spécialement, tant elle est extraordinaire... Une chanson de revendication ouvrière en plein Moyen-Âge et de femmes encore bien. En somme « Sebenn che siamo donne... », version troyenne ou champenoise. Troyes en Champagne est d'ailleurs encore aujourd'hui une ville du textile et où turbinent des ouvrières... les descendantes de celles de Chrétien. Et vois aussi, la proximité de la façon de dire de ces femmes et de celle des Canuts... Elles disent : « À jamais pauvres et nues » et les Canuts : « C'est nous les canuts, nous sommes tout nus ! ». La même idée... En fait, ces filles-là, ce sont les ancêtres des Canuts. Et puis, imagine Lucien l'âne mon ami, que ce gars-là au détour d'un roman de chevalerie, quatre cents ans avant Cervantès et son Don Quichotte, lance une chanson ouvrière et dénonce l'exploitation et l'exploiteur... et clairement encore : « Et nous sommes en grand misère, Mais s'enrichit de nos salaires Celui pour qui nous travaillons ». Cette déclaration pourrait mot pour mot être celle d'un syndicaliste contemporain et pas d'un mou, pas d'un de ces gens qui flirtent avec le patronat et le libéralisme. Ce pourrait être un chant des femmes d'Asie, celles du Bangladesh, par exemple. Mais bien évidemment, des Chinoises, des Coréennes ou des Tunisiennes, ou, ou... des Mexicaines... ou d'immigrées, ou de clandestines dans nos bons pays...
Tu vois, Marco Valdo M.I. mon ami, tout ceci démontre la justesse de ton affirmation de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches mènent contre les pauvres pour les exploiter toujours plus, pour les payer toujours moins, pour imposer toujours plus l'exploitation, les privilèges, leur pouvoir... et la nécessité de tisser, comme ces femmes, le linceul de ce vieux monde par trop riche, par trop adipeux, par trop avide et par trop cacochyme.
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane