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Η σονάτα του σεληνόφωτος

Yannis Ritsos / Γιάννης Ρίτσος
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Traducción Española / Ισπανική μετάφραση/ Traduzione spagno...
LA SONATE AU CLAIR DE LUNE

Laisse-moi venir avec toi. Quelle lune ce soir !
La lune est bonne – on ne verra pas
que mes cheveux se sont blanchis. La lune
Me les fera blonds à nouveau. Tu ne t’en apercevras pas.
Laisse-moi venir avec toi.

Avec la lune, s’agrandissent les ombres de la maison,
des mains invisibles tirent les rideaux,
un doigt pâle écrit sur la poussière du piano.
Paroles oubliées – Je ne veux pas les entendre. Tais-toi.

Laisse-moi venir avec toi.
un peu plus loin, jusqu’à la clôture de la briqueterie,
Là où la route tourne et apparaît
la ville d’air et de béton, calcinée par le clair de lune,
si indifférent et immatériel,
si positive, presque métaphysique,
que tu peux enfin croire que tu existes et que tu n’existes pas.
que tu n’as jamais existé, n’a jamais existé le temps avec sa ruine.
Laisse-moi venir avec toi.

Nous nous assiérons un peu sur le muret, sur la colline,
À nous rafraîchir dans le vent du printemps
Peut-être même imaginerons-nous voler,
Car souvent, et aussi maintenant, j’entends le bruissement de mon peignoir
Qui semble être le battement de deux ailes fortes,
Et quand tu t’enfermes dans ce bruit du vol,
Tu sens se tendre ton cou, tes hanches, ta chair,
et si serrés dans les muscles du vent bleu,
dans les nerfs forts de la hauteur,
Peu importe que tu partes ou que tu reviennes.
Peu importe que mes cheveux soient blancs,
(Ce n’est pas ça qui me peine – ce qui me peine
C’est que mon cœur ne blanchit pas aussi).
Laisse-moi venir avec toi.

Je sais, chacun va seul vers l’amour,
Seul vers la gloire et la mort.
Je sais. Je l’ai éprouvé. Ça ne sert à rien.
Laisse-moi venir avec toi.

Cette maison est habitée par des fantômes, elle me chasse.
Je veux dire, elle a beaucoup vieilli, les clous se détachent,
Les tableaux sont comme s’ils plongeaient dans le vide,
Les revêtements tombent en silence
Comme le chapeau du mort tombe du portemanteau dans le couloir sombre.
Comme le gant de laine usé tombe des genoux du silence.
Ou comme un rayon de lune tombe sur un vieux fauteuil éventré.
Un temps, il était jeune, lui aussi – pas la photo que tu regardes avec une telle défiance,
Je parle du fauteuil, si reposant ; tu pouvais t’y asseoir pendant des heures.
Et les yeux fermés, rêver à ton gré
– Une plage humide, lisse, luisante de la lune,
Plus luisante que mes vieilles chaussures vernies que chaque mois, je porte au cireur ici au coin de la rue,
Ou que la voile d’un pêcheur qui se perd à l’horizon, bercée par son propre souffle,
Une voile triangulaire comme un mouchoir plié en travers
Comme s’il n’avait rien à enfermer ou à contenir.
Ou à saluer en s’agitant. J’ai toujours eu la manie des mouchoirs,
Pas pour y tenir plié quelque chose,
Certaines graines de fleurs ou de camomille récoltées dans les champs vers le soir,
Ni pour y faire quatre nœuds, comme font les ouvriers sur le chantier de l’autre côté de la rue,
Ou pour m’essuyer les yeux – j’ai conservé une bonne vue ;
Je n’ai jamais porté de lunettes. Une simple extravagance, les mouchoirs.

À présent, je les plie en quatre, en huit, en seize.
Pour occuper mes doigts. Et maintenant, je me souviens
Que je rythmais ainsi la musique quand j’allais au Conservatoire.
Avec mon tablier bleu, mon col blanc et deux tresses blondes.
– Huit, seize, trente-deux, soixante-quatre –
Donnant la main à une amie – je pêche toutes les fleurs pâles et roses,
(Pardonnez ces mots – une mauvaise habitude) – trente-deux, soixante-quatre – et mes parents mettaient
De grands espoirs dans mon talent musical. Donc, je disais, le fauteuil –
Éventré – vous pouvez voir ses ressorts rouillés, la paille –
J’ai pensé l’emmener chez le tapissier à côté,
Mais qui a le temps, la volonté, l’argent – que chose réparer en premier ? –
Je pensais jeter un drap dessus, j’ai eu peur
De ce drap blanc au clair de lune. Ici, se sont assis
Des gens qui ont rêvé de grands rêves, comme toi et comme moi, du reste
Et qui maintenant reposent sous terre sans que la pluie ou la lune ne les dérangent.
Laisse-moi venir avec toi.

Nous nous arrêterons un peu en haut de l’escalier en marbre de Saint-Nicolas,
Puis tu descendras et je reviendrai sur mes pas
Avec sur mon flanc gauche, la chaleur du contact aléatoire avec votre veste,
Quelques cadres de lumière dans les petites fenêtres du quartier
Et ce souffle très blanc de la lune qui semble un grand cortège de cygnes d’argent.
Je n’ai pas peur de cette phrase, parce que moi
Nombre de nuits de printemps, un temps, j’ai parlé avec Dieu, qui m’est apparu
Dans le brouillard et la gloire d’un clair de lune comme celui-ci,
Et je lui ai sacrifié, beaucoup de jeunes gens, plus beaux que toi,
M’évaporant ainsi, blanche et inaccessible dans ma flamme blanche, dans la blancheur de la lumière de la lune,
Brûlée par les regards voraces des hommes et l’extase incertaine des adolescents,
Assiégée par de beaux corps bronzés,
Par des membres forts entraînés à la nage, à la rame, à l’athlétisme, au football (que je faisais semblant de ne pas voir)
Des fronts, des lèvres, des cous, des genoux, des doigts et des yeux
Des thorax, des bras, des cuisses (et véritablement, je ne les voyais pas)
– Tu sais, parfois, admirant, tu oublies ce que tu admires, tu admires seulement –
Mon Dieu, quels yeux pleins d’étoiles, et je m’élevais dans une apothéose d’étoiles refusées
Car, si assiégée, à l’intérieur comme à l’extérieur,
Je n’avais d’autre voie que le haut ou le bas. – Non, ça ne suffit pas.
Laisse-moi venir avec toi.

Je sais qu’il est tard maintenant. Laisse-moi,
Car pendant tant d’années, de jours et de nuits, et de midis violets, je suis restée seule,
Irréductible, immaculée et seule,
Jusque dans mon lit nuptial immaculée et seule,
Écrivant des vers glorieux sur les genoux de Dieu,
Des vers qui, je t’assure, resteront gravés sur un marbre irréprochable.
Outre ma vie et la tienne, bien au-delà. Ça ne suffit pas.
Laisse-moi venir avec toi.

Ça ne va plus pour moi, cette maison
Je ne supporte pas de la porter sur mes épaules.
Tu dois toujours t’occuper de ceci et de cela,
À étayer le mur avec le grand buffet
À étayer le buffet avec l’ancienne table sculptée
À étayer la table avec les chaises
À étayer les chaises avec les mains
À étayer la poutre qui a cédé avec l’épaule.
Et le piano, fermé comme un cercueil noir. Tu n’oses pas l’ouvrir.
Toujours s’occuper de ceci et de cela, pour qu’il ne tombe pas, pour que tu ne tombes pas. Je n’en peux plus.
Laisse-moi venir avec toi.

Cette maison, avec tous ses morts, ne veut pas entendre parler de mourir.
Elle s’obstine à vivre avec ses morts
À vivre de ses morts.
À vivre de la certitude de sa mort
Jusqu’à mettre ses morts sur des étagères et des lits branlants.
Laisse-moi venir avec toi.

Ici, si doucement que je marche dans le souffle de la soirée,
En pantoufles ou pieds nus,
Quelque chose craque – un verre ou un miroir craque,
On entend des pas – ce ne sont pas les miens.
Dehors, dans la rue, il se peut qu’on n’entende pas ces pas –
La repentance, dit-on, porte des chaussures en bois.
Et si tu vas regarder dans tel ou tel miroir,
Derrière la poussière et les fissures,
Tu vois plus terne et brisé ton visage,
Ton visage : tu ne demandas rien d’autre à la vie que de le garder intact et pur.
Le bord du verre reluit au clair de lune
Comme un rasoir circulaire – comment le porter à tes lèvres,
Alors que tu as si soif ? – Comment ? – Tu vois ?
Je veux encore des similitudes, – Il m’est resté ça,
Ça me rassure encore qu’il y en a.
Laisse-moi venir avec toi.

Parfois, au soir, j’ai la sensation
Que devant les fenêtres passe le forain avec sa vieille ourse pesante.
Avec son poil plein de bardanes et d’épines
Soulevant la poussière dans la rue du quartier,
Une nue solitaire de poussière qui incendie le crépuscule,
Et les enfants sont rentrés chez eux pour le dîner et on ne les laisse plus sortir
Même si, derrière les murs, ils devinent les pas de la vieille ourse.
Et l’ourse fatiguée marche dans la sagesse de sa solitude, sans où ni pourquoi -
Elle s’est appesantie, elle n’arrive plus à danser sur ses pattes arrière.
Elle n’arrive plus à porter son bonnet en dentelles pour divertir les enfants, les facétieux, les exigeants,
Elle veut juste se coucher à terre
Les laissant piétiner son ventre, jouant ainsi son dernier jeu,
Montrant son immense force de renoncement,
Sa désobéissance aux intérêts des autres, aux anneaux dans ses lèvres, à la nécessité de ses dents,
Sa désobéissance à la douleur et à la vie
Avec l’alliance sûre de la mort – même d’une mort lente –
Son extrême désobéissance à la mort avec la continuité et la notion de la vie
Qui par la connaissance et l’action l’élève au-dessus de son esclavage.
Mais qui peut jouer à ce jeu jusqu’à la fin ?
Et l’ourse se relève et marche
Obéissant à sa dentelle, à ses anneaux, à ses dents,
Souriant avec des lèvres lacérées aux pièces de monnaie des enfants beaux et innocents
(Beaux précisément parce qu’innocents)
Et remerciant. Car les ours vieillis
Ont seulement appris à dire : merci, merci.
Laissez-moi venir avec toi.

Cette maison m’étouffe. Même la cuisine
Est comme le fond de la mer. Les cafetières suspendues brillent
Comme de grands yeux ronds de poissons incroyables,
Les plats se meuvent lents comme des méduses,
Des algues et des coquillages se prennent dans mes cheveux – je n’arrive plus à les arracher,
Je n’arrive pas remonter à la surface.
Le vase tombe de ma main sans bruit – je m’effondre.
Je vois monter, monter les bulles de ma respiration,
Je tente de me distraire en les regardant.
Et je me demande ce que dirait quelqu’un qui d’en haut voyait ces bulles,
Peut-être que quelqu’un se noie, ou qu’un plongeur explore les abysses ?
Et vraiment, il n’est pas rare que je trouve là, au fond, là où je me noie,
Des coraux et des perles et des trésors de navires naufragés,
Rencontres imprévisibles d’hier, d’aujourd’hui et du futur,
Presque une confirmation de l’éternité,
Un certain soulagement, un certain sourire d’immortalité, comme on dit,
Un bonheur, une ivresse, jusqu’à un enthousiasme,
Des coraux, des perles, des saphirs ;
Seulement que je n’arrive pas à les donner – non, je les donne ;
Seulement, je ne sais pas s’ils peuvent les prendre – de toute façon, moi je les donne.
Laisse-moi venir avec toi.

Un moment, je prends mon gilet.
Avec ce temps instable, quoi qu’il en soit, nous devons nous protéger.
Il y a de l’humidité le soir, et la lune
Ne penses-tu pas vraiment qu’elle renforce la fraîcheur ?
Laisse-moi boutonner ta chemise – quel solide poitrail tu as,
– quelle lune forte – le fauteuil, dis-je – et quand je soulève la tasse de la table
Il reste dessous un trou de silence, je mets ma main là tout de suite.
Pour ne pas regarder en dedans – je remets la tasse à sa place ;
Même la lune est un trou dans le crâne du monde – ne regarde pas en dedans,
Il y a une force magnétique qui attire – ne regarde pas, ne regardez pas,
Faites attention à ce que je vous dis – vous tombez dedans. Ce beau vertige,
Léger – attention, tu tombes –
C’est un puits de marbre la lune,
Des ombres, des ailes silencieuses, des voix mystérieuses s’y meuvent – Ne les entendez-vous pas ?

Profonde la chute,
Profonde la remontée,
L’aérienne statue tend ses ailes ouvertes,
Profonde l’implacable charité du silence –
Lumières tremblotantes sur l’autre rive, tandis que tu oscilles sur ta propre fronde,
Le souffle de l’océan. Très léger, très beau
Ce vertige – fais attention de tomber. Ne me regarde pas,
Ma place est l’oscillation – le vertige stupéfiant. Ainsi chaque nuit
J’ai un peu mal à la tête, certains vertiges. Souvent je fais un saut à la pharmacie en face pour de l’aspirine,
Parfois je n’en ai pas envie et je reste avec le mal de tête.
À entendre le bruit sourd des tuyaux d’eau dans les murs,
Ou je me fais un café, toujours distraite.
Et oublieuse, j’en fais deux – qui boira le second ? –
C’est ridicule, je le laisse sur la tablette à refroidir,
Ou des fois je bois aussi l’autre, regardant par la fenêtre l’enseigne verte de la pharmacie.
Comme la lumière verte d’un train silencieux qui vient me chercher
Avec mes mouchoirs, mes chaussures déformées, mon sac noir, mes poèmes,
sans bagage – pour en faire quoi ?
Laisse-moi venir avec toi.

Ah, tu t’en vas ? Bonne nuit. Non, je ne viens pas. Bonne nuit.
Sous peu, je sors. Merci. Car enfin, il faudra
Sortir de cette maison en ruines.
Je dois voir un peu de la ville – non, pas la lune -
La ville aux mains calleuses, la ville du salaire quotidien,
La ville qui jure par le pain et le poing,
La ville qui nous tient tous sur ses épaules
Avec notre mesquinité, nos méchancetés, nos inimitiés,
Avec nos ambitions, notre ignorance et la vieillesse,
Je dois entendre les grands pas de la ville,
pour ne plus entendre tes pas.
Ni les pas de Dieu, ni mes pas. Bonne nuit.


(La pièce s’assombrit. On voit qu’un nuage a recouvert la lune. Soudain, comme si quelqu’un avait augmenté le volume de la radio du bar voisin, on entend une phrase musicale bien connue. Alors, je me suis rendu compte que toute cette scène avait été accompagnée à faible volume par la Sonate au Clair de Lune, seulement la première partie. Maintenant, le Jeune homme doit descendre avec un sourire ironique, peut-être de pitié, sur ses lèvres bien dessinées, et avec un sentiment de libération. Quand il sera arrivé à Saint Nicolas, avant de descendre l’escalier de marbre, il rira – un rire fort et irréfrénable. Son rire ne sera pas du tout inconvenant sous la lune. Peut-être la seule chose inconvenante, c’est qu’il n’y a rien d’inconvenant. Peu après, le Jeune se taira, deviendra sérieux et dira : « La décadence d’une époque ». Ainsi, désormais à fait tranquille, il va déboutonner à nouveau sa chemise et suivre son propre chemin. Quant à la Femme en noir, je ne sais pas si elle est finalement sortie de la maison. Le clair de lune brille toujours. Et dans les coins de la pièce, les ombres sont serrées par une contrition incontrôlable, presque une colère, autant pour la vie que pour la confession inutile. Vous l’entendez ? La radio continue.)

Athènes, juin 1956
LA SONATA AL CLARO DE LUNA

(Noche de primavera, salón grande de una casa vieja
Una mujer, entrada en años, vestida de negro, está hablando con un hombre joven –no han encendido las luces. Implacable la luna invade atravesando la ventana. Me olvi- daba de decir que la mujer ha publicado un par de interesantes colecciones de poemas de tono religioso
La mujer está dirigiéndose al joven)


Déjame ir contigo
Qué luna esta noche…
Es buena esta luna, no se marcarán mis canas
La luna hará que mi pelo vuelva a ser dorado –no te darás cuenta
Déjame ir contigo

En noches bañadas por la luna
las sombras se engrandecen en mi casa
Manos invisibles corren las cortinas
Un dedo tenue escribe palabras olvidadas en el polvo que cubre el piano
No quiero oírlas… Cállate

Déjame ir contigo
Sólo un rato, hasta la valla de la fábrica de ladrillos
Hasta donde la calle se esconde tras la curva y aparece la ciudad de cemento, de aire
Blanqueada de cal lunar
Tan indiferente y etérea
Tan positiva que parece metafísica
Tanto, que finalmente puedes creer que existes y que no existes
que jamás has existido, que el tiempo y sus secuelas no han existido… Déjame ir contigo

Nos vamos a sentar un rato sobre la acera, en la pequeña colina y como nos llegue el soplo de esta brisa de primavera
puede que nos imaginemos volando
porque a menudo, incluso a estas alturas, el chasquido de mi falda llega a mis oídos como el aletazo de dos alas potentes

Y cuando te envuelves en este sonido de vuelo notas tu nuca, tus costillas, tu carne apretándose Y así apretado por los músculos del viento azul en las vigorosas neuronas de la altura
no importa si te vas o te vuelves
y tampoco importa que mi pelo se haya vuelto blanco
(no es esto lo que me atormenta, lo que me atormenta es que mi corazón no se vuelve blanco…)
Déjame ir contigo

Lo sé que todos seguimos nuestros caminos solitarios en el amor, en la gloria, y en la muerte
Ya lo sé. Lo he probado. No sirve… Déjame ir contigo

Esta casa está encantada, me está echando a patadas, quiero decir, es demasiado vieja
Los clavos se sueltan
Los cuadros caen buceando en el vacío
El yeso se desploma en silencio
como los gorros abandonados de los muertos que caen de su percha en el pasillo oscuro como el desgastado guante de lana del Silencio cae de sus rodillas
o como cae un pedazo de luna sobre esta vieja silla destripada

Una vez ésta también fue joven… No, no la foto que estás mirando incrédulo
Hablo de la silla, muy cómoda
Podías sentarte, ojos cerrados, hora tras otra, y soñar… bueno, cualquier cosa
Una playa de arena suave, mojada y resplandeciente, pulida por la luna
Más pulida que mis viejos zapatos elegantes, que entrego cada mes en la tienda de la esquina para que me los limpien
Más pulida que una vela de barco velero que desaparece en la distancia, movido por su propio respiro, una vela triangular, como un pañuelo doblado, una vez solamente
como si no tuviera nada que encerrar, nada que atesorar, ni despedirse, saludando desplegado

Desde siempre me han fascinado los pañuelos
No para guardar cosas, semillas de flores, o manzanilla recogida en el campo al atardecer Ni tampoco para hacerle cuatro nudos y llevarlo como hacen los albañiles que trabajan allí enfrente
Ni tampoco para limpiar gafas –jamás las he necesitado
Los pañuelos son sólo un capricho

Hoy en día los doblo 4, 8, 16 veces, así para mantener mis dedos ocupados
Y acabo de recordar que solía medir la música así, cuando iba al conservatorio
En mi uniforme blanquiazul, y con mis trenzas rubias –8,16,32,64…
Agarrando la mano de mi pequeña amiga, un árbol de melocotón lleno de luz y flores rosadas
Perdóname esta palabrería… mala costumbre –32,64…
Y mis padres albergaban grandes esperanzas por mi talento musical

Pues, te estaba hablando de la silla, destripada, la paja y los muelles mohosos a la vista Pensaba llevarla al taller aquí al lado para que la arreglaran, pero… No hay ni tiempo, ni dinero, ni ánimo
Por dónde empezar arreglando...

Pensaba cubrirla con una sábana
Pero me impresionó la idea de una sábana blanca bajo esta luna
Grandes hombres se han sentado en ella, gente de altos vuelos y aspiraciones, como tú y yo, también
Y ahora descansan bajo tierra, sin que les preocupe ni la lluvia ni la luna… Déjame ir contigo

Nos vamos a sentar un rato en el rellano de la escalera de mármol de la iglesia
Y después tú seguirás y yo volveré con el calor del toque fortuito de tu chaqueta a mi costado izquierdo
Y también unas luces cuadradas a través de las pequeñas ventanas del barrio
Y esta rociada tan blanca de la luna, que es como una gran procesión de cisnes plateados Y no me asusta esta expresión porque yo, en tiempos, muchas noches de primavera conversé con Dios, que se presentó envuelto en el halo y la gloria de tal claro de luna

Y muchos jóvenes, aún más bellos que tú, sacrifiqué por Él
Así blanca e inasequible, rociándome por mi propia llama blanca, por la blancura del claro de luna
Incendiada por los insaciables ojos de los hombres, y el indeciso éxtasis de los adolescentes
Asediada por exuberantes cuerpos bronceados, poderosos brazos y piernas entrenados en natación, remo, atletismo, fútbol –piernas y brazos que fingía no ver– frentes, labios, rodillas, dedos y ojos, troncos, bíceps y muslos…
Y de verdad no los veía, sabes, a veces, admirando, te olvidas del que estas admirando
Te basta la mera admiración
Dios mío, qué ojos todos estrellas
Y me levantaba hacia una apoteosis de estrellas rechazadas
Porque así asediada, por dentro y por fuera, no me quedaba otro camino sino hacia arriba o hacia abajo

No, no es suficiente... Déjame ir contigo
Ya es tarde, lo sé… Déjame ir contigo, porque tantos años, días y noches y atardeceres carmesíes, he estado sola, implacable, sola e inmaculada
Hasta en mi lecho conyugal inmaculada y sola
Escribiendo versos gloriosos en las rodillas del Señor
Versos que te lo aseguro, quedarán como grabados en mármol impecable
Más allá de mi vida, y de la tuya también, mucho más allá
No es suficiente… Déjame ir contigo

Esta casa no me soporta más
No aguanto llevarla encima
Tienes que estar siempre atento, atento
Sostener la pared con el gran aparador
Sostener el aparador con la antediluviana mesa cincelada
Sostener la mesa con las sillas
Sostener las sillas con tus manos
Meter tu hombro bajo la viga que se está descolocando
Y el piano, cerrado como un féretro negro… No te atreves a abrirlo
Siempre atento, atento, que no caiga nada, que no te caigas tú... No lo soporto… Déjame ir contigo

Esta casa, a pesar de todos sus muertos, no se deja morir
Insiste en vivir con sus muertos, vivir de sus muertos y de la certeza de su muerte, y en ordenar todavía sus muertos cuidadosamente en armarios y decrépitas camas… Déjame ir contigo

Aquí, no importa cuán silenciosamente camine en el vaho de la noche, en mis zapa- tillas o descalza, algo va a crujir
Algún cristal se esta rajando, o algún espejo
Se oyen pasos –no son los míos
Puede que fuera, en la calle, no se oigan estos pasos –dicen que el arrepentimiento lleva zapatos de madera…
Y si te pones a mirar en este espejo, o en el otro, por detrás del polvo y las rajas
Divisas tu rostro cada vez más borroso y fragmentado
Tu rostro, por el que no pediste nada más en la vida: sólo que fuera límpido e íntegro

Los labios de la copa brillan en el claro de luna como una navaja circular –¿cómo puedo llevarlo hasta mis labios?
Aunque tenga tanta sed, ¿cómo puedo?
¿Ves? Todavía me quedan ganas de símiles…

Eso es lo que me queda, es eso lo que me asegura todavía que sigo presente… Déjame ir contigo…
A veces, al anochecer, tengo la sensación de que detrás de la ventana pasa una osa con su dueño
Está vieja y pesada – su pelo lleno de espinas y cardos
Levanta polvo en las calles del barrio
Una nube de polvo solitaria, incienso para el anochecer
Y los niños han vuelto a casa para cenar, y ya no les dejan salir, aunque a través de las paredes pueden divisar los pasos de la vieja osa
Y la osa, cansada, camina en la sabiduría de su soledad, sin saber adónde ni por qué
Está menos ágil, ya no puede bailar sobre dos piernas
No puede llevar su gorrito de encaje y entretener a los niños, a los vagos, a los exigentes
Y solo quiere tumbarse en el suelo, dejando que le pisen el vientre
Jugando así su última carta
Demostrando su impresionante fuerza para resignarse
Su desobediencia a los intereses de los demás, a los aros en sus labios, a la indigencia de sus dientes
Su desobediencia al dolor y a la vida, con la complicidad de la muerte – incluso una muerte lenta

Su desobediencia final a la muerte, a través de la continuación y el conocimiento de la vida, la vida que sigue cuesta arriba
Aprendiendo y actuando, superando la esclavitud

Pero ¿quién puede seguir este juego hasta el final?
Así la osa se levanta otra vez, y camina obedeciendo a su correa, a sus aros, a sus dientes
Sonriendo con sus labios desgarrados
a las moneditas que le echan los niños, tan bellos y confiados (bellos precisamente porque son confiados), diciéndoles gracias
Porque las viejas osas lo único que han aprendido a decir es: gracias, gracias… Déjame ir contigo

Esta casa me está ahogando
Pues la cocina es como el fondo del mar
Las cazuelas colgadas brillan como grandes ojos redondos de peces increíbles
Los platos se mueven lentamente como medusas
Algas y ostras se atascan en mi pelo –no puedo librarme de ellos después
No puedo subir a la superficie –la bandeja cae de mis manos muda Me derrumbo y veo las burbujas de mi aliento subiendo, subiendo E intento entretenerme mirándolas
Y me pregunto qué diría alguien que las viera desde arriba

Quizás que alguien se está ahogando
O que un buceador está explorando los fondos del mar…
Y, de verdad, no pocas veces descubro allí, en el abismo del ahogamiento
Corales y perlas y tesoros de naufragios
Encuentros imprevistos, del pasado, del presente y del futuro
Casi una comprobación de la eternidad
Un respiro, una sonrisa de inmortalidad, como dicen Una cierta felicidad, embriaguez, hasta entusiasmo… Corales, perlas, y zafiros; sólo que no sé darlos
No, los doy; sólo que no sé si pueden recibirlos… Yo sin embargo los doy
Déjame ir contigo

Espera un momento, déjame coger mi chaqueta
De este tiempo tan imprevisible no hay que fiarse
Hay humedad por la noche, y parece que la luna hace la noche más fría ¿verdad?

Déjame abrochar tu camisa –qué fuerte es tu pecho… Eh, qué fuerte esta luna… digo, la silla…
Y cuando levanto la taza de la mesa se desvela un agujero de silencio
Lo tapo inmediatamente con mi mano para no mirar adentro
Vuelvo a dejar la taza donde estaba
Y la luna como un agujero en el cráneo del mundo
No mires adentro, es una fuerza magnética que te atrae No mires, no miréis, escuchadme, ¡vais a caer dentro! Este vértigo bello y etéreo –¡te vas a caer!
Un pozo de mármol la luna
Sombras que se agitan y alas mudas, voces misteriosas, ¿no las oís?

Profunda, profunda la caída
Profunda, profunda la escalada
La estatua de aire apretada en sus alas abiertas
Profunda, profunda la despiadada beneficencia del silencio
Luces que parpadean desde la otra orilla
Mientras tambaleas en tu propia ola, soplo del océano
Bello y etéreo este vértigo –cuidado, ¡te vas a caer!
No te fijes en mí… Para mí eso es mi lugar: el tambaleo, el exquisito vértigo

Así que cada noche tengo un poco de dolor de cabeza, náusea A menudo voy a la farmacia de enfrente por alguna aspirina Otras veces me da pereza y me quedo con mi dolor de cabeza Escuchando el hueco ruido de las tuberías
O preparo café, y, distraída, siempre preparo dos tazas –¿quién tomaría el segundo? Tiene gracia…
Lo dejo sobre el alféizar y se enfría
O a veces tomo el segundo también
Mirando por la ventana la bombilla verde de la farmacia
Como la luz verde de un tren silencioso que viene a llevarme con mis pañuelos, mis zapatos malgastados, mi bolso negro, mis poemas…
pero sin maletas – ¿para qué las necesitas? Déjame ir contigo

Ah, ¿te vas? Buenas noches. No, yo no voy. Buenas noches. Yo voy a salir más tarde. Gracias.
Es que, por fin, tengo que salir de esta casa machacada
Tengo que ver la ciudad un rato
No, no la luna, la ciudad con sus manos marcadas de callos
La ciudad asalariada, la ciudad que jura por sus puños y su pan
La ciudad que nos lleva sobre sus espaldas, soportándonos a todos nosotros
Con nuestras pequeñeces, nuestras maldades, nuestras enemistades
Nuestras ambiciones, nuestra ignorancia, y nuestra vejez… Tengo que escuchar los grandes pasos de la ciudad
Y que deje ya de escuchar los tuyos, los del Dios, y los míos. Buenas noches.

(El salón se está oscureciendo. Parece que alguna nube habrá cubierto la luna. De repente, como si una mano hubiera subido el volumen de la radio del bar del barrio, se escucha un tema musical muy conocido. Entonces me doy cuenta de que toda esta escena la acompañaba sotto voce la sonata de claro de luna, solamente el primer movimiento.
El joven estará bajando la calle, con una sonrisa preñada de ironía y compasión en sus cincelados labios, y sintiéndose liberado. Cuando llegue a la iglesia, antes de bajar por la escalera de mármol, se echará a reír –su risa fuerte, imparable no sonará para nada inadecuada bajo la luna. Que no suene para nada inadecuada es quizás lo único que sea inadecuado. Dentro de poco el joven se callará, se pondrá serio y dirá: “La decadencia de una época”. Así, completamente tranquilo, desabrochará su camisa y continuará su camino.
En cuanto a la mujer, no sé si al final salió. La luz de luna brilla otra vez. Y en las esquinas de la habitación las sombras se ahogan en un insoportable, desgarrador arrepentimiento, casi un furor, no tanto por la vida, pero sí por esa inútil confesión… Escuchad, la radio sigue sonando…)



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