Le bistrot
Georges BrassensOriginale | Version française – AUX TERRASSES – Marco Valdo M.I. – 2018 |
LE BISTROT Dans un coin pourri Du pauvre Paris, Sur un' place, L'est un vieux bistrot Tenu pas un gros Dégueulasse. Si t'as le bec fin, S'il te faut du vin D' premièr' classe, Va boire à Passy, Le nectar d'ici Te dépasse. Mais si t'as l' gosier Qu'une armur' d'acier Matelasse, Goûte à ce velours, Ce petit bleu lourd De menaces. Tu trouveras là La fin' fleur de la Populace, Tous les marmiteux, Les calamiteux, De la place. Qui viennent en rang, Comme les harengs, Voir en face La bell' du bistrot, La femme à ce gros Dégueulasse. Que je boive à fond L'eau de tout's les fon- tain's Wallace, Si, dès aujourd'hui, Tu n'es pas séduit Par la grâce De cett' joliì fé' Qui, d'un bouge, a fait Un palace. Avec ses appas, Du haut jusqu'en bas, Bien en place. Ces trésors exquis, Qui les embrass', qui Les enlace? Vraiment, c'en est trop! Tout ça pour ce gros Dégueulasse! C'est injuste et fou, Mais que voulez-vous Qu'on y fasse? L'amour se fait vieux, Il a plus les yeux Bien en face. Si tu fais ta cour, Tâch' que tes discours Ne l'agacent. Sois poli, mon gars, Pas de geste ou ga- re à la casse! Car sa main qui claqu' Punit d'un flic-flac Les audaces. Certes, il n'est pas né Qui mettra le nez Dans sa tasse. Pas né, le chanceux Qui dégèl'ra ce Bloc de glace. Qui fera dans l' dos Les corne' à ce gros Dégueulasse. Dans un coin pourri Du pauvre Paris, Sur un' place, Une espèc' de fé', D'un vieux bouge, a fait Un palace. | AUX TERRASSES Si un jour, tu retournes Te perdre à Livourne, Au Pontino, Il y a là-bas une osteria, Trois tables de guingois, Va-z-y boire un pot. Prends garde au patron, Une merde, un bourrin Déjà rond À neuf heures du matin. Il dégage une senteur À tuer le malheur. Si tu veux du vin De bec de rupin, Si tu veux ton Sassicaia. Il te faudra payer Pour te soûler À l’Ornellàia. Ici, le pinard, c’est de la vinasse Fatale et grasse À deux ronds Le demi-litron de Madelon. Imaginez un peu, mes amis, Quel boui-boui ! Ici, il vous faut Un estomac en peau De taureau. Quiconque entre là pour boire Laisse tout espoir Et sombre dans le noir. On se retrouve à cet endroit À deux ou trois Péquenots, À la regarder Comme des dévots Extasiés. On n’a jamais su Comment cet infâme, Ce ventru, A eu une femme Belle à couper L’envie de pisser. Certains soirs d’été Tout le quartier, Une moitié de l’Europe, Est là à contempler En vrais nyctalopes Ce popotin d’antilope. J’irai jusqu’à boire Cent litres D’eau de ciboire Si tu tiens En ermite Jusqu’au matin. À voir comment la fée L’a métamorphosée, L’osterie, chaque jour, Se mue en cour du soir, Pleine d’espoirs Et de petits amours. Quand je pense à celui Qui la baise, J’en suis tout étourdi. Un balaise, Ce Gorille qui Lui sert de mari. Quand je repense à celui Qui l’embrasse, Qui l’enlace, Je me dis Que je boirais bien L’eau de mon bain. Mais qu’y peut-on ? À part penser à ses petons Et prier Eros et Aphrodite. Comme l’amour est mal voyant, Sûr que cet hypocrite En profite joliment. Et tu peux essayer ! Elle se raidit et, pan ! La claque. Et Ne t’y reprends Pas, sinon elle t’éveille À coups de bouteille. Et son mari Tout attendri, Tout énamouré, Offre à boire Un verre de son pinard Au maltombé. Il n’est pas encore né Le fortuné Qui la dégèlera, Qui fera Des cornes d’élan À cet orang-outan. Si un jour, tu retournes Te perdre à Livourne, Au Pontino, La fée Margot, Dans son caboulot T’offrira un pot. |