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Les lettres

Maxime Le Forestier
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OriginalVersione in esperanto di Georges Lagrange
LES LETTRESLETEROJ
  
Avril 1912, ma femme, mon amour,Maj'! Mil naŭcent dek du. Al kara la edzin',
Un an s'est écoulé depuis ce mauvais jourde pli ol unu jar' mi jam forlasis vin
Où j'ai quitté ma terre.kaj teron kaj kultivon.
Je suis parti soldat comme on dit maintenant.Mi foriris soldat' obee al destin',
Je reviendrai te voir, d'abord de temps en temps,en temp' de forpermes' mi venos kaj en fin'
Puis pour la vie entière.mi restos tutan vivon.
Je ne pourrai venir sans doute avant l'été.Mi certe venos nur somere por la draŝ'
Les voyages sont longs quand on les fait à pied.ĉar por piedirant' tro longe tia marŝ'.
As-tu sarclé la vigne ?La viton priatentu.
Ne va pas la laisser manger par les chardons.Ĉefe ĝi pro forlas' ne mortu sub herbar'.
Le voisin prêtera son cheval aux moissons.Pruntu vi ĉe l' rikolt' ĉevalon de l' nabar'.
Écris-moi quelques lignes.Skribu min, ne silentu.
  
Hiver 1913, mon mari, mon amour,En vintro de dek tri al edzo al karul'
Tu ne viens pas souvent, sans doute sont trop courtsmalofte venas vi. Ja tempon, laŭ regul',
Les congés qu'on te donnenur kurtan vi disponas.
Mais je sais que c'est dur, cinquante lieues marchantScias mi, ke marŝad' je cent mejloj nur por
Pour passer la journée à travailler aux champs,laboradi en kamp' certe vin tenas for,
Alors, je te pardonne.mi tial vin pardonas.
Les vieux disent qu'ici, cet hiver sera froid.Olduloj diras jam, ke iĝos tuj frosteg'
Je ne sens pas la force de couper du boiskaj mankas al mi fort' nun por la ligno-seg'.
J'ai demandé au père.La patro kun merito
Il en a fait assez pour aller en avrilsegis mem tiom da por daŭri ĝis april'.
Mais penses-tu vraiment, toi qui es à la ville,Sed ĉu ja kredas vi, laŭ urba informil',
Que nous aurons la guerre ?ke estos nun milito?
  
Août 1914, ma femme, mon amour,Aŭgusto de dek kvan, al kara la edzin',
En automne au plus tard, je serai de retourplej tarde je l' aŭtun' i ree vidos min,
Pour fêter la victoire.por festi pri la venko.
Nous sommes les plus forts, coupez le blé sans moi.Estas plej fortaj ni. Sed mi rikoltu l' grenon (*)
La vache a fait le veau, attends que je sois làĵus naskiĝis bovid', atendu la revenon (*)
Pour le vendre à la foire.de mi por ĝia vendo.
Le père se fait vieux, le père est fatigué.Oldiĝas patro un, li estas laca jam
Je couperai le bois, prends soin de sa santé.mi segos lignon mem, ŝpariĝu lia san'!
Je vais changer d'adresse.Mi ŝanĝos la adreson.
N'écris plus, attends-moi, ma femme, mon amour,Ne plu skribu al mi, nun kara la edzin'
En automne au plus tard je serai de retourĉar sen dub' je l' aŭtun' ni ree vidos nin:
Pour fêter la tendresse.festos ni tenerecon.
  
Hiver 1915, mon mari, mon amour,En vintro de dek kvin, al edzo al karul',
Le temps était trop long, je suis allée au bourgtro longis jam la temp' mi devis post kalkul'
Dans la vieille charrette.veturi en la urbon.
Le veau était trop vieux, alors je l'ai venduLa bovidon mi do forvendis ĉe l' foir',
Et j'ai vu le vieux Jacques, et je lui ai rendumi vizitis l Ĵak' al la maljuna vir'
Le reste de nos dettes.finpagis mi la ŝuldojn.
Nous n'avons plus un sou, le père ne marche plus.Ne paŝas plu la patr'; ne restas unu groŝ',
Je me débrouillerai, et je saurai de plussed elturniĝos mi. Sen mono en la poŝ'
En plus être economeŝparegos mi pli multe.
Mais quand tu rentreras diriger ta maison,Kiam vi venos re por estri en la dom',
Si nous n'avons plus rien, du moins nous ne devronsse nenio 'stos plu kaj plu ne restos mon',
Plus d'argent à personne.ni vivos jam senŝulde.
  
Avril 1916, ma femme, mon amour,Aprilo de dek ses, al kara la edzin'
Tu es trop généreuse et tu voles au secourspro via bona kor' mi ne gratulas vin:
D'un voleur de misèresgrasigas vi friponon,
Bien plus riche que nous. Donne-lui la moitié.helpas vi al rabist'. Sufiĉis duonpag'.
Rendre ce que l'on doit, aujourd'hui, c'est jeterĈar per la honestec' ni ĵetas en ĉi tag'
L'argent au cimetière.al tomboj nian monon.
On dit que tout cela pourrait durer longtemps.Laŭdire la milit' tre longe daŭrus plu,
La guerre se ferait encore pour deux ans,tri jarojn eble eĉ, aliaj diras du.
Peut-être trois ans même.La tagoj tie samas.
Il faut nous préparer à passer tout ce temps.Devas ni kun firmec' elteni kun obstin'
Tu ne fais rien pour ça, je ne suis pas content,ne klopodas vi nun, mi ne aprobas vin.
Ça ne fait rien, je t'aime.Gravas ne, mi vin amas.
  
Ainsi s'est terminée cette tranche de vie,Alvenas nun la fin' de tiu vivrakont'
Ainsi s'est terminé sur du papier jaunialvenas jam la fin' kaj restis sen respond'
Cet échange de lettresplej lasta ĉi letero.
Que j'avais découvert au détour d'un étéTion mi trovis mem en polva subtegment'
Sous les tuiles enfuies d'une maison fanéeen pasinta somer' - nur flava document' -
Au coin d'une fenêtre.je tag' de pluvvetero.
Dites-moi donc pourquoi ça s'est fini si tôt.Sed diru kial do jam estis lasta paĝ'
Dites-moi donc pourquoi, au village d'en haut,sed diru kial d, pasante tra l' vilaĝ'
Repassant en voiture,plurfoje sen ekspliko,
Je n'ai pas regardé le monument aux Mortsturnis mi vidon for de l' militmonument'
De peur d'y retrouver, d'un ami jeune encore,kvazaŭ mi timus je legi en ĉi moment'
Comme la signature.la nomon de amiko.


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