Ël canarin
Piero NovelliOriginale | Version française – LE CANARI – Marco Valdo M.I. – 2016 |
ËL CANARIN Cara mama con questa mia i veuj dite che doman ij fassista 'm pòrto via e 'm fusilio come 'n can. Sì, lo sai, a son ròbe nèire che 'n pòvr lader come mi, na ligera a deubia meuire për la facia 'd chissa chi. A le "Neuve" a l'han ficame ansema un cap dij soversiv: "Fa che canti - a l'han dime - riferisci e it seurte viv". Cara mama, ò mama mia, i lo sai bin che 'l mè mesté a l'é col ëd fé la spia e an questura 'ndé a subié. A lo diso tuti a Turin ch'i faso 'l canarin i son la pì bela spia ch'a-i é là an Vanchija. Coi parafanghi a scoté peui an Via Grattòni a subié ij colp ch'a fà la mala 'd Lusengh ò 'd Pòrta Pila. Ma con lorsì a l'é divers pen-a ch'i-j vëddo mi i son ësvers e 'd gumité am ven veuja con lorsì mi i sai nen subio nen, subio nen con lorsì, dime fòl, s’i deurbo 'l bech j'ëspuvo a còl. Cara mama sta ligera ch'a l'ha fate tribulé da sì 'n pòch a-j fan la fèra ma ti i't deuve nen pioré. Mi i son ëstàit sempre na lan-a andrinta e fòra 'd na përzon ant la mia vita nen na sman-a a travajé mi i son stàit bon. Fin-a ij lader am disìo: "Vigio sghija fòra dij ciàp", fin-a lor a lo savìo che mi i j'era 'n grand vigliach. Adess i lo giuro, bòja brichèt ch'im la faso nen adòss i vado a meuire al Martinet sì, ma i meuiro për quaicòs. Ma con lorsì a l'é divers pen-a ch'a-i vëddo mi son ësvers e 'd gumité am ven veuja con lorsì mi i sai nen subio nen, subio nen con lorsì 'l canarin as fà spiumé, ma a parla nen! | LE CANARI Chère maman cette lettre Pour te dire que demain les fascistes vont me prendre Et me fusiller comme un chien. Oui, je le sais, c’est moche Qu’un pauvre diable comme moi Un truand doive mourir (1) Sans raison (2) Aux Nuove, ils m’ont mis en cellule (3) avec le chef des subversifs : « Fais le chanter – m’ont-ils dit - Dis-nous tout et tu sortiras vivant ». Chère maman, oh, maman Mon métier est D’être un mouchard Et à la questure, de faire le cafard. Tous le savent à Turin Que je fais le « canari », Que je suis le meilleur espion Qu’il y ait à Vanchiglia.(4) À tendre les oreilles partout Pour ensuite rapporter à Grattoni (5) Les coups que fait le milieu De Lucento et de Porta Palazzo Mais ceux d’ici, c’est différent. Dès que je les vois, je me sens mal Et il me vient l’envie de vomir. Pour ceux d’ici, je ne sais rien, Je ne parle pas, je ne souffle pas. À ceux d’ici, dis-moi si tu veux que je suis fou, si j’ouvre la bouche, ce sera pour leur cracher dessus. Chère maman, à ce bon à rien Qui t’a donné tant de tracas D’ici à peu, ils briseront les reins. Mais surtout, ne pleure pas. J’ai toujours été droit Dans et hors de prison De toute ma vie, pas même une semaine Je n’ai été bon à la besogne. Même les voleurs me disaient : « Luigi, casse-toi ! » (6) Car ils le savaient Que j’étais un grand lâche. Mais maintenant je le jure, bourreau infâme, (7) Je ne me ferai pas dessus. Je vais mourir au Martinetto (8) Oui, mais je mourrai pour quelque chose. Car ceux d’ici, c’est différent Dès que je les vois, j’entre en colère Et il me vient l’envie de vomir Pour ceux d’ici, je ne sais rien, Je ne parle pas, je ne souffle pas. Pour ceux d’ici, le canari Se laissera déplumer, mais il ne parlera pas ! (1) ligera : le terme ligéra ou lingéra indiquait la petite criminalité milanaise. Le mot est identique en piémontais, mais il signifie plus vagabond, bon à rien, fugueur. (2) Littéralement, « pour le visage d’on ne sait qui » (3) les Nuove : prison turinoise (l’entrée principale est sur le cours Vittorio Emanuele II, aujourd’hui devant le nouveau Palais de Justice et au nouveau gratte-ciel San Paolo). Les Nuove beaucoup furent utilisées par les fascistes et par les nazis pour emprisonner, torturer et tuer des opposants politiques et des partisans. (4) Borgo Vanchiglia, un des quartiers historiques de Turin, au confluent du Po et de la Dora Riparia. C’est le quartier où depuis de nombreuses années est actif le Centro Sociale Askatasuna, un de « repaire » du mouvement d’opposition turinois. Borgo Vanchiglia. Peinture murale dédiée à Dante Di Nanni et Vittorio Arrigoni. L’oeuvre se trouve sur le mur de l’ancien siège du Balilla (mouvement de jeunesse fasciste). (5) Via Grattoni, entre le cours Vinzaglio et le cours Bolzano, c’est encore aujourd’hui l’entrée latérale de la Questure, celle par où accèdent les patrouilles. (6) Littéralement : « bouge tes fesses » (7) Brichèt a beaucoup de significations, les plus communes sont allumette, briquet. En piémontais, les imprécations, même insensées, avec « bòja » suivi d’un substantif sont très diverses, mais la plus commune de toutes est sûrement « bòja fàuss ». (8) Le Martinetto du cours Suisse était une aire destinée à polygone de tir. Entre 1943 et 1945, les nazifascistes y fusillèrent plus de 60 opposants et partisans, parmi lesquels 8 représentants du CLN (Comité de Libération Nationale) piémontais. |