Aujourd’hui reconnu comme un des plus grands guitaristes mondiaux, Pierre Bensusan a débuté… dans le petit monde du folk!
Pierre Bensusan est né à Oran en 1957. Cinq ans plus tard, M. et Mme Bensusan fuient l'Algérie avec leurs trois enfants et regagnent une légion de rapatriés en banlieue parisienne. Bercé par les disques de jazz, de tango et de musette ou bien encore de musique tzigane et de flamenco qu'écoutent son père, Pierre apprend aussi à aimer les chansons séculaires chantées par sa mère, tantôt en français, tantôt en espagnol ou en arabe. En somme, Pierre est sensibilisé très tôt à la musique ; ses soeurs aînées passionnées de Beatles et autres Rolling-Stones, lui font découvrir aussi bien le monde de Woodstock que celui du jazz de Coltrane ou de la chanson française façon Brassens. Comme il aime à le dire aujourd'hui, « à la maison, c'était la world-music intégrale ». Initié au piano, Pierre se frotte concrètement au répertoire classique ; Chopin, Beethoven et Bach font partie de son quotidien pendant quatre ans. Mais, devant la situation financière plutôt difficile de la famille Bensusan, le piano est vendu et remplacé peu après par une guitare acoustique. Pierre se rappelle : « Je ne savais pas quoi faire de l'instrument. Et puis un jour, un copain du lycée est venu chez moi, il a accordé la guitare et s'est mis à en jouer ». Dès lors, Pierre se met au chant et devient très vite le « musicien de service » qui fait chanter les copains au lycée ou en colonie, et écrit luimême ses propres textes, — des textes très naïfs. En 72, c'est le choc musical, la révélation lorsque Pierre découvre Pete Seeger, Bob Dylan et Joan Baez. Les textes et les voix lui parlent comme aucun artiste ne l'a jamais fait : « Je m'endormais tous les soirs en écoutant Pete Seeger ; le disque passait et lorsqu'il s'arrêtait, je dormais ». Au-delà du folksong, il y a le blues, et c'est en écoutant les disques des bluesmen américains que Pierre travaille la guitare, prend conscience de son instrument et des possibilités infinies qu'il offre. D'études, il n'est plus question, le jeune musicien quitte le lycée à 16 ans. A l'occasion d'un séjour à Nantes, chez des amis adeptes de la vie en communauté, Pierre découvre le folk-club du Bateau-Lavoir, où il s'essaye pour la première fois en public. Son répertoire composé de chansons de Crosby, Still, Nash and Young passe bien en cet été 73. De retour à Paris, Pierre, accompagné de copains de banlieue fait son entrée au Centre Américain, où il sympathise avec le manager du célèbre folksinger hollandais, Dick Annegarn. Ce dernier lui propose de passer sur la scène du hootenanny en tant qu’invité, situation plutôt flatteuse pour un musicien de 17 ans. Mais c'est en fait le TMS, temple des musiques américaines, qui fascine plus que tout notre folkeux. Lorsque Bill Deraime l'abandonne pour s'installer à la campagne, Pierre prend le relais et assure toutes les permanences du folk-club. Désormais à bonne école, il perfectionne son style de guitare et découvre, grâce à ses aînés, le jeu de musiciens anglo-saxons comme John Renbourn, Mark Sullivan ou Martin Carthy. Passionné de bluegrass, dont il déniche des raretés à Musimage, un petit disquaire de la rue Notre- Dame-des-Champs, Pierre intègre un groupe amateur du nom d’Uncle Prosper. C’est l’occasion pour Pierre d’apprendre la mandoline, aux côtés du guitariste Christian Poidevin et du banjoïste Didier Jacquot. Expérience éphémère, Uncle Prosper se dissout rapidement, mais un groupe en appelant un autre, Pierre est enrôlé dans le Back Door Jug Band d’Alain Giroux (voir à ce nom). En 75, Bill Keith, le banjoïste de Bill Monroe, le pape du bluegrass, débarque au TMS. Programmé dans différentes villes de France et de Belgique, Bill cherche des musiciens pour l'accompagner et les trouve en Pierre et Claude Lefebvre. Le hasard fait bien les choses ; toute la carrière de Pierre Bensusan se déroule sous le signe de la chance et d'une bonne étoile qui le guide vers d'heureuses rencontres.
La même année, la maison de disques Cézame entend parler de ce jeune musicien talentueux et lui propose d'enregistrer un album. De Près de Paris, Pierre dira à posteriori qu'il est le « reflets de tous ses amours ». On y trouve un titre bluegrass sur lequel se reconnaissent aisément les acrobaties au banjo de Bill Keith, ainsi que des chansons traditionnelles françaises électrifiées rappelant Malicorne. Dans Près de Paris, la chanson titre de l'album, Pierre nous conte l'histoire d'une bergère contrainte de se marier à un roi tandis que J'ai fait une maîtresse se présente comme une chanson de conscrit naïve et touchante, où guitare, mandoline, violon, bodhran et vielle se mêlent à merveille. Pierre reprend enfin un titre déjà popularisé par Malicorne : Dame Lombarde. Quelques gigues, gavottes et reels de tradition celtique ponctuent l'album. Notons également la présence de compositions aux sonorités moyenâgeuses comme cette pièce instrumentale pour mandoline, Lady de Nantes, et Le Lac des Abesses. Dans The Town that i loved so well, complainte des Dubliners, Pierre évoque la situation irlandaise. Et, pour finir, il rend hommage à Bill Keith dans une chanson que ce dernier a écrite, One morning in may. En somme, cet album auquel ont participé bon nombre de personnalités du folk, Claude Lefebvre (dulcimer, guitare), Phil Fromont (violon, alto), Emmanuelle Parrenin (vielle), Gérard Lavigne (basse), Jean-François Sandoz (tin wistle), André Thomas (bodhran), Hervé de Sainte-Foy (contrebasse) et Bill Keith (banjo), s'avère extrêmement varié. Les qualités de Pierre se révèlent aussi bien à la guitare qu'à la mandoline, et, le son « Bensusan » se s’affirme d'ores et déjà. Aussitôt achevé, l'album traverse l'Atlantique dans les bagages de Bill qui trouve sur le champ un label spécialisé en musiques traditionnelles américaines, décidé à le distribuer. Si bien que lorsque Pierre inaugure sa première tournée aux Etats- Unis en 1979, il a déjà son public.
C'est au festival de Cazals, à l'été 75, que le folk français découvre Pierre Bensusan et remarque ses qualités de guitariste. Dès lors, les tournées et les albums s'enchaînent, complétés de quelques stages d'initiation à la guitare (Châteauvallon et la Flèche). En 1976, Pierre, invité à Montreux, obtient le grand prix du disque du festival pour son album Près de Paris, événement qui entérine la reconnaissance du guitariste au niveau international. Bensusan travaille ensuite à la réalisation de son second album, Pierre Bensusan 2. Dédié aux musiques irlandaises très chères à l'artiste, ce disque auquel participent les cornemuseux breton et lyonnais, Patrick Molard et Eric Montbel, le violoniste de Malicorne Laurent Vercambre et le bassiste Gérard Lavigne, sort en 1978, chez Cézame. Alternant chansons et airs de danses d'inspiration médiévale, l'album est porté aux nues par certains critiques ; Jacques Vassal le considère comme « l'un des plus beaux disques en solo de tout le folk français ». L’interprétation de l'un des grands classiques de la chanson traditionnelle française, le Roi Renaud, est une merveille de sensibilité et d'émotion. Elle est interprétée sobrement. Jardin d'amour, traditionnel du Dauphiné, résulte de l'heureuse rencontre de Pierre et du bassiste Gérard Lavigne. Tous deux ont pris l'habitude de jouer ensemble, dans le courant de l'année 76, et Jardin d'amour est un classique de leur répertoire. Ils nous livrent une interprétation « aérienne », presque planante de ce thème traditionnel, et la basse de Gérard y est pour beaucoup. Mis à part cela, les airs irlandais et moyenâgeux se partagent les plages, tandis que dans La Danse du Capricorne, les musiciens donnent libre cours à leur sens de l'improvisation.
En 1978, nous retrouvons Pierre aux festivals de Ris-Orangis et de Courville-sur-Eure. Ces quelques événements ne constituent pourtant que les premières balises d'un long parcours, hors des frontières hexagonales. A l'automne 78, Doc Watson de passage à Paris, tombe par hasard sur Près de Paris. A la fin du concert qu'il donne à l'Olympia, l'artiste demande à rencontrer Pierre. Bien entendu, ce dernier est présent dans la salle. Sans hésiter une seconde, le jeune homme se rend, le coeur battant, dans les loges de Doc. Il offre à l'artiste ainsi qu'à son manager ses deux premiers albums et repart, débordant d'énergie, fort de l'idée qu'il lui faut continuer dans cette voix, travailler encore et toujours son style de guitare, un style qu'il veut original, unique. Le sens de sa démarche relève du défi ; la guitare doit se suffire à elle-même, remplir la fonction occupée par les multiples instruments d'un d'orchestre.
Peu après, Pierre contacte Doc Watson qui promet de lui trouver plusieurs dates américaines. Parole tenue : le jeune guitariste est programmé pour 33 concerts à l’été 79 ! il achète aux Etats-Unis une vieille voiture et parcourt le pays, le coffre bourré de disques qu'il vend admirablement à la fin des concerts. Les rencontres mythiques et mystiques se multiplient, confirmant Pierre dans le fait que sa carrière se développera aux Etats-Unis. Après trois mois d'errances et 15 mille miles au compteur de son automobile, Pierre rentre en France, le regard illuminé et la tête pleine de souvenirs.
L'album que Pierre a enregistré chez Cézame, avant de partir aux Etats-Unis, est sorti en juin 79. Musiques est un disque instrumental. Pierre y rend hommage à ses musiciens préférés : Doc Watson bien sûr, mais aussi John Renbourn, Chet Atkins et Marcel Dadi. Il reprend également ses airs irlandais préférés. Jacques Vassal compare, à cette occasion, Pierre Bensusan à Michel Haumont, autre guitariste talentueux passionné de musique américaine : « tous deux sont partis de la scène folk qu’ils ont contribué à faire évoluer, éclater, et dont ils ont repoussé les limites techniques et intellectuelles ». Il est vrai que Pierre se sent à l'étroit dans le carcan du folk français. Celui-ci ne permet pas l'ouverture vers d'autres musiques, d'autres genres. D'ailleurs, le choix du titre de son album, Musiques, n'est pas anodin : Pierre revendique le droit de jouer des airs venus des quatre coins du monde, sans se soucier d’un quelconque « enracinement ».
Dès lors, se marginalisant du microcosme folk qui ne l'intéresse plus guère, Pierre tourne de plus en plus à l'étranger, et particulièrement en Suisse, en Allemagne, en Grande-Bretagne et bien entendu aux Etats-Unis. Dans chacun de ces pays, mise à part la Suisse, il dispose d'agents chargés de l'organisation de ses tournées. En France, il participe aux grands événements nationaux : le Printemps de Bourges, la fête de l'Humanité. A Vierzon, le festival Pulsar 80 lui laisse un souvenir mitigé à mi-chemin entre le rire et la rancune ; les stars Paco de Lucia et John Mac Laughlin avaient demandé des cachets mirobolants, ce qui avait eu pour résultat de priver les autres artistes, dont Pierre, de rémunération. L'organisation désastreuse avait conduit à des émeutes et à la mise à feu du chapiteau du festival. Quant aux années 80, elles sont loin d’être un frein au développement de la carrière de Pierre. Bien au contraire, le guitariste prend son envol, au sens propre et figuré ; les Etats- Unis l'accueillent à bras ouverts et l'artiste s'échappe définitivement du folk pour rejoindre l’univers de la world music. Reconnu comme l'un des plus grands guitaristes mondiaux, Pierre rencontre tous ceux qui ont bercé son imaginaire de jeune homme ; à commencer par Bob Dylan, Joan Baez, et plus tard Pete Seeger. Le père du folksong lui dit, sans même se présenter, à la fin d'un concert aux Etats-Unis : « C'est vraiment très bien ce que tu fais, surtout continue, on a besoin de gens comme toi. » Pierre partage quelques scènes avec des artistes du charisme de Paco de Lucia ou de Jacques Higelin. Auteur de sept albums dans lesquels il alterne instrumentaux et chansons, il a créé sa propre école fréquentée par des guitaristes amateurs et professionnels du monde entier. Enfin, son dernier album en duo avec Didier Malherbe, l'un des membres fondateurs de Gong, enregistré en live au New- Morning, offre une alliance de guitare et de flûtes de toute beauté ; mélodies et harmonies constituent une fantastique invitation au rêve et à la magie.
Il vit aujourd'hui près de Château-Thierry (Aisne).