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La viéyo villo d’Aigo Morto

Antoine Bigot
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OriginaleVersione francese di Ruben Saillens (1882)
LA VIÉYO VILLO D’AIGO MORTOLA TOUR DE CONSTANCE (OU COMPLAINTE DES PRISONNIÈRES DE LA TOUR DE CONSTANCE)
  
La viéyo villo d’Aigo MortoLa vieille ville d’Aigues-Mortes
La villo dou réi Sant LouisLa ville du roi Saint Louis
Panlo e maigro darriès si portoMorne étendue entre ses portes,
Au bord de la mar s’espandisRêve aux grands jours évanouis.
Uno tourré coumo un viel gardoElle dort, mais comme un vieux garde
Viho en déforo di ramparDe son oeil rouge grand ouvert,
Aouto e sourno liun liun regardoLa Tour de Constance regarde,
Regardo la plano e la mar.Regarde la plaine et la mer.
  
L’aubre se clino, l’auro coureDe la campagne, de la plage,
La poussièro volo au camin,S’élèvent mille bruits confus;
Tout es siau dins la vieio tourreMais la tour, géant d’un autre âge,
Mai per tems passa ’ro pas sin.La tour sombre ne parle plus…
Li pescaîre que s’atardavonSeulement, par les nuits voilées,
Dins la niue, souvent entendienLe pêcheur entend des sanglots
Tantost de fenno que cantavonEt des voix qui chantent, mêlées
Tantost de voues que gemissien.Au lointain murmure des flots.
  
De qu’éro aco? De presouniero.Qui vécut là? Des prisonnières
De qu’avien fa? Vioula la lei,Qui mettaient Dieu devant le roi.
Plaça Dieu en ligno proumiero,Là jadis des femmes et des mères
La couscienci au dessus dou rei.Moururent pour garder la foi;
Fièri iganaudo, is assembladoLeur seul crim’ était d’être allées
Dou Désert, séguido di siéu,La nuit par un sentier couvert
Lou siaume en pocho, éron anadoJoindre leur voix aux assemblées
A travès champ, per préga Dieu.Qui priaient Dieu dans le désert.
  
Mais li dragoun dou rei vihavon:Mais les dragons – Oh, temps infâmes,
Sus la foulo en preiero, zou!Oh lions changés en renards! –
Zou! lou sabre nus, s’accoussavon...Les dragons veillaient: sus aux femmes!
E d’ome de cor e d’ounouBraves soldats, sus aux vieillards!
Leu li galèro eron poupladosBientôt d’un peuple sans défense
E si fenno, i man di dragoun,Les sabres nus avaient raisons…
En Aigo-Morto eron menado,Les huguenots à la potence!
E la tourre ero sa presoun.Les huguenots en prison!
  
Souffrissien, li pauri doulento,Ah! jamais ces murailles grises
La fam, la set, lou fre, lou caud;Ne rediront ce qu’ont souffert
Avien li languitudo sentoCes paysannes, ces marquises,
Dis assemblado e de l’oustau.Ces nobles filles du désert;
Mais vien la fe, counfort e baumeMais dans leur foi puissant un baume
Di cor murtri que reston fier;D’une voix tremblante de pleurs
Ensemble cantavon li siaumeEnsemble elles chantaient un psaume,
Dins la presoun coumo au Desert.Les coeurs brisés sont les grands coeurs.
  
Li jour, li mes, lis an passavon,Les ans passaient sur la tour sombre,
E noun jamai li sourtissien.Et la porte ne s’ouvrait pas.
D’uni i soufrenco resistavon,Les unes vieillissaient dans l’ombre,
D’autri, pechaire, mourissien.D’autres sortaient par le trépas.
Mais sa fe, l’aurien pas vendudo,Mais jamais aucune à son Maître,
Mais soun Dieu l’aurien pas trahi,De le trahir ne fit l’affront…
Noun! Iganaudo eron nascudo,Huguenotes il les fit naître
Iganaudo voulien mouri.Huguenotes elles mourront!
  
D’avans ti peiro souleiadoAh! que devant cette ruine
Qu’un autre passe indiferent,Un autre passe insouciant!
O tourre, a mis iuel siès sacrado,Mon coeur bondit dans ma poitrine,
Siei tout esmougu’n te vesent,Tour de Constance, en te voyant!
Tourre de la fe simplo e forto,O sépulcre où ces âmes fortes
Simbel de glori e de pieta,Au ténèbres ont résisté!
Tourre di pauri fenno mortoO tour des pauvres femmes mortes
Per soun Dieu e sa liberta.Pour Christ et la liberté!


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