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Lèyîz m' plorer

Nicolas Defrêcheux
Language: Walloon


Nicolas Defrêcheux

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La Demoiselle de Magasin
(Marco Valdo M.I.)


Lèyîz m' plorer


Chanson wallonne (en liégeois) – Lèyîz m' plorer – Nicolas Defrêcheux – 1854

Tu vois, Lucien l'âne mon ami, tu devrais dédier cette chanson à l'intention toute particulière de Riccardo Venturi qui réclamait une chanson en wallon – en wallon – pas en « walloon » et je te rappelle que le wallon est une langue à part entière ; donc, une chanson en wallon et c'en est une des plus célèbres et des plus populaires. Peut-être même enverrais-je un de ces jours une traduction en français de ma main, si je ne trouve pas celle de Defrêcheux lui-même. Cette chanson est une complainte, c'est la complainte d'un jeune homme, dont la fiancée, comme on disait à l'époque en nos pays et plus tendrement, de la part du fiancé, il pouvait dire « Mi p'tit vî cou », littéralement « mon petit vieux cul »... La poésie se place où elle peut.


Cela dit, Marco Valdo M.I. mon ami, elle en a fait pleurer des gens, cette chanson-là. Tellement populaire qu'elle incarnait – par exemple, dans les camps de concentration de la guerre 14-18, l'âme liégeoise, autant dire la nostalgie wallonne. Elle a donc fait pleurer bien des hommes...

Donc, vois-tu Lucien, le jeune homme a perdu sa fiancée, laquelle est morte et la chanson commence par l'arrivée des amis qui vont à la fête et qui lui demandent de les accompagner. Mais il répondra à toutes les sollicitations de cette lancinante antienne : « Lèyîz m' plorer ! tote mi veye est gåtéye, dji l' a pièrdou, dji l' a pièrdou ! » - « Laissez-moi pleurer ! Toute ma vie est gâtée (ou gâchée ou foutue), je l'ai perdue, je l'ai perdue ! ».

Il est évident, dit l'âne Lucien en essuyant une larme de son oreille droite, que selon les circonstances, cette chanson peut avoir d'étranges résonances... Par exemple, revenons à nos prisonniers de guerre : qu'ont-ils perdu ? Leur femme restée au pays, leur liberté, leur jeunesse, leur camarade de combat, un camarade de camp ? Et puis, il y a le lien de la langue et de cette mélodie construite à l'harmonium... C'est une des choses que me racontait le soldat Armand, amoureux de « la demoiselle de magasin » , lequel Armand était de Seraing et la demoiselle Lucie venait elle de la Chat-Queue, quartier de Seraing, que lors des spectacles que les prisonniers (marqués à la chaux K.G. - Kriegsgevangenen) - j'insiste de 14-18 - montaient dans les baraquements pour certaines circonstances, la chanson était reprise en chœur et faisait pleurer bien de ces exilés forcés.

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Mes camèrådes m' ont vnou dîre: " C' est nosse fiesse,
vinez danser ! "
K' in ôte s' amûze, mi, dji pleure li mêtresse
ki m' a cwité.
Dji l' inméve tant ! elle aveut mes pinséyes
di nute et d' djoû
Lèyîz m' plorer ! tote mi veye est gåtéye,
dji l' a pièrdou, dji l' a pièrdou !

Ses ptitès mins avît l' minme blankixheur
ki nos feus d' lis
Et ses deus lèpes estît pus rôzes ki l' fleur
di nos rôzîs.
Måy nole fåbite n' a fêt oyi come leye
des tchants si doûs.
Lèyîz m' plorer ! tote mi veye est gåtéye,
dji l' a pièrdou, dji l' a pièrdou !

Vos årîz dit kéke andje vinou sol tère
divin l' moumint.
Ele pårtixhéve totes ses spågnes al mizére
des ôrfulins;
Ou k' elle êdîve si veye mére al vespréye
po rmonter l' soû
Lèyîz m' plorer ! tote mi veye est gåtéye,
dji l' a pièrdou, dji l' a pièrdou !

Dji n' pou roûvî k' el sêzon des violètes,
èle mi dérit:
Louke cès oûjhês apîstés sol coxhète...
Ki fiestèt i ?
Va, cwand on s' inme, tos les djoûs d' ine annéye
sont des bês djoûs,
Lèyîz m' plorer ! tote mi veye est gåtéye,
dji l' a pièrdou, dji l' a pièrdou !

Elle e-st asteure èco pus hôt k' les steules,
è paradis.
Pocwè fåt i k' èle seuye evôye tote seule,
èvôye sins mi ?
On a bê m' dîre: " I fåt bin k' t' el roûveyes ! "
Eski dj' el pou ?
Lèyîz m' plorer ! tote mi veye est gåtéye,
dji l' a pièrdou, dji l' a pièrdou !

Contributed by Marco Valdo M.I. - 2011/5/19 - 18:06



Language: French

Version française – LAISSEZ-MOI PLEURER – Marco Valdo M.I. – 2011
Chanson wallonne (liégeois) – Lèyîz m' plorer ! – Nicolas Defrêcheux – 1854


Comme pour toute traduction, il y aurait bien des choses à redire à cette version... Quoique, précisément, celle-ci soit une « version », c'est-à-dire qu'elle est plus « interprétée » qu'une traduction proprement dite... Mais comment traduire vraiment le wallon en français ? Et plus encore, le wallon de 1854 en français de 2011 ? Dès lors, il y a un décalage certain et infranchissable entre les deux textes, entre les deux mondes... Et ce décalage est complexe : c'est celui du temps passé, c'est celui de l'histoire, c'est celui qui s'installe entre une langue encore toute pétrie, j'allais dire fleurie, de ses racines hesbignonnes ou condruziennes et une langue citadine où les fleurs de lis, les violettes et les roses vivent en pot et s'achètent toutes fleuries... d'où les fauvettes se sont depuis longtemps enfuies, où les vieilles mères sont dans des institutions et où les paradis sont décidément artificiels et télévisuels....

D'ailleurs, dit Lucien l'âne en levant ses oreilles au ciel, j'ai entendu dire que la chanteuse Édith Piaf qui trouvait que c'était une des plus belles chansons d'amour (et elle en a chanté des chansons d'amour...), disait qu'elle ne pouvait être traduite...

C'est sans doute vrai dans un certain sens... Mais alors, dit Marco Valdo M.I. que dire de Vissotsky ou de Karel Kril ou de De André...? Les CCG (Chansons contre la Guerre) prouvent le contraire tous les jours et même plusieurs fois... Rien que nous deux, nous avons traduit ou plus exactement, donné des versions de chansons yiddish, traduites en allemand, puis en anglais et ensuite, en italien... et enfin, en langue française. Dès lors, Lucien l'âne mon ami, il faudra bien te contenter de ma version, même si, ici ou là, elle est un peu décalée par rapport à une traduction plus au pied de la lettre...

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
LAISSEZ-MOI PLEURER


Mes camarades sont venus me dire : « C'est la fête, viens danser ! »
Qu'un autre s'amuse, moi, je pleure ma maîtresse qui m'a quitté
Je l'aimais tant ! Je ne pensais qu'à elle
Nuit et jour.
Laissez-moi pleurer ! Toute ma vie est foutue
Je l'ai perdue , je l'ai perdue !

Ses petites mains avaient la blancheur des fleurs de lis.
Et ses deux lèvres étaient plus roses que la fleur des rosiers.
Jamais la fauvette n'a donné
À entendre de chants si doux
Laissez-moi pleurer ! Toute ma vie est foutue
Je l'ai perdue , je l'ai perdue !

On aurait dit un ange venu sur terre au moment
Où elle offrait ses économies à la misère des orphelins
Ou au soir, quand
Elle aidait sa vielle mère à rentrer
Laissez-moi pleurer ! Toute ma vie est foutue
Je l'ai perdue , je l'ai perdue !

Je ne peux oublier qu'au temps des violettes, elle me dit :
Regarde ces oiseaux sur leur branche... Qui fêtent-ils ?
Allez, quand on s'aime tous les jours
De l'année sont de beaux jours.
Laissez-moi pleurer ! Toute ma vie est foutue
Je l'ai perdue , je l'ai perdue !

À présent, elle est au-delà des étoiles, au paradis
Pourquoi faut-il qu'elle soit partie toute seule, partie sans moi ?
On a beau me dire : « Il faut bien que tu l'oublies ! ».
Est-ce que je le peux ?
Laissez-moi pleurer ! Toute ma vie est foutue
Je l'ai perdue , je l'ai perdue !

Contributed by Marco Valdo M.I. - 2011/5/20 - 16:06


Magnifique chanson wallone, on ne l'entend plus jamais, c'est bien triste.

bernadette Severin - 2012/1/16 - 21:54




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